À l’occasion de la semaine des travailleurs sociaux du 25 au 31 mars, l’AQSP vous présente un entretien réalisé avec Réjean Carrier de la Maison Michel Sarrazin à Québec. Il explique le rôle et les défis des travailleurs sociaux qui sont impliqués dans les soins palliatifs et de fin de vie.
Question 1 : Quel a été votre parcours ? Pourquoi avez-vous choisi de travailler dans une maison de soins palliatifs ?
Je suis travailleur social depuis plus de 40 ans, dont 33 ans en soins palliatifs. Ma pratique en soins palliatifs s’est partagée entre le Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ) et la Maison Michel Sarrazin. J’ai rejoint l’équipe de la Maison Michel Sarrazin deux ans avant son ouverture pour réfléchir à ce que pourrait être l’accompagnement psychosocial dans une maison de soins palliatifs. J’y ai œuvré pendant huit ans auprès des gens en fin de vie et de leurs proches pour travailler par la suite au CHUQ. Dans cet établissement, j’avais aussi un rôle d’accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs proches. De plus, un travail plus spécifique m’attendait, celui d’accompagner des personnes remettant en question leurs traitements soit en oncologie ou en hémodialyse. Comme à la Maison Michel-Sarrazin, en milieu hospitalier, j’ai côtoyé la souffrance globale vécue par les personnes malades et les proches. Après quinze ans d’engagement au CHUQ, j’ai choisi de revenir à la Maison Michel Sarrazin et à son centre de jour.
J’ai fait le choix de revenir travailler dans une maison de soins palliatifs, car c’est un lieu où, dès le départ, on reconnait la fin de vie. Nous travaillons tous avec le même objectif soit celui du confort global de la personne et de ses proches. À l’hôpital, il y a un travail de sensibilisation des équipes traitantes qui doit être constamment présent pour faire reconnaitre la souffrance du malade, l’importance de la relation de soutien auprès de lui et du rôle essentiel des proches. Dans la philosophie des soins palliatifs, les proches ont leur place ce qu’on oublie parfois.
Question 2 : Pourriez-vous décrire quel est le rôle et la mission d’un travailleur social en maison de soins palliatifs ?
Le rôle du travailleur social à la Maison Michel Sarrazin est de soutenir et accompagner les personnes et leurs proches pour les aider à vivre la dernière étape de vie le plus sereinement possible.
Au centre de jour je dirais que mon rôle est d’aider les personnes atteintes de la maladie et leurs proches à découvrir comment on vit quand on sait qu’on va mourir. Notons que je rencontre les personnes individuellement, en couple, en famille selon les besoins. J’anime également quotidiennement un groupe de soutien pour les personnes malades et leurs proches.
En premier lieu, on accompagne le patient en relation avec lui-même, pour l’aider à faire le point sur ce qu’il vit. La fin de vie est souvent un temps pour des bilans de vie, des réconciliations avec soi ou avec les autres, avec un objectif de retrouver une paix intérieure. Être en paix ne veut pas dire être sans peine. Par sa formation le travailleur social a un rôle de réassurer, d’aider la personne à cheminer et garder du pouvoir sur sa vie restante. Enfin, on est là pour aider la personne à demeurer vivante jusqu’u à la fin.
Le travailleur social a aussi un rôle de soutien auprès des proches pour les aider à accompagner leur malade, à ouvrir la communication avec ce dernier. Il aide également les proches à découvrir les besoins de la personne malade en fin de vie. Personnellement, je crois que le plus grand besoin de la personne en fin de vie est celui de la sécurité au plan physique par le biais des soins et au niveau affectif par la présence des personnes significatives. Les proches ont souvent besoin qu’on les aide à prendre conscience de ce rôle important.
Il va s’en dire que tout ce travail auprès des malades et des proches qu’il soit au centre de jour ou à la Maison ne peut se faire qu’en équipe.
Question 3 : D’après vos expériences les travailleurs sociaux sont-ils confrontés à des enjeux particuliers lorsqu’ils accompagnent des patients en soins palliatifs et leurs familles ? Sont-ils suffisamment outillés pour faire face aux problématiques de la fin de vie ?
Dans les universités, les étudiants sont de plus en plus sensibilisés aux soins palliatifs et à l’accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs proches. En complément aux formations professionnelles, je suis co-responsable pour la région de Québec, et ce depuis 15 ans, d’un groupe de développement professionnel pour les psychologues et travailleurs sociaux en oncologie et soins palliatifs. Ce groupe réunit principalement des professionnels des milieux hospitaliers et du maintien à domicile. Dans les milieux de soins, il semble qu’on ait peu l’occasion de partager sa pratique professionnelle entre intervenants. Cela permet de réfléchir à la philosophie des soins palliatifs, aux valeurs qui nous guident dans l’intervention et à l’intervention comme telle. Le principe premier de ces rencontres est d’apprendre les uns des autres. Les participants sont très fidèles à cette activité et expriment en tirer de grands bénéfices pour leur pratique.
Une difficulté rencontrée dans nos milieux présentement est celle d’avoir des équipes permanentes et stables. Dans notre système de santé, les professionnels passent souvent d’un contrat à l’autre ce qui fait qu’on peut se retrouver en soins palliatifs sans en avoir fait le choix. On est ainsi confronté à la fin de la vie sans y être préparé. Le danger serait ici d’aborder la fin de vie de façon technique en termes de résolution de problèmes plutôt que dans une philosophie d’accompagnement. La mort n’est pas un problème, mais un processus de vie naturel. La notion d’accompagnement de la personne m’apparait un message à porter dans tous les milieux de soins.
Question 4 : Selon vous quels sont les grands enjeux en soins palliatifs au Québec actuellement ? Quels changements souhaiteriez-vous voir ?
Il y a eu beaucoup d’évolution concernant la reconnaissance des soins palliatifs depuis 30 ans au Québec que ce soit dans les services à domicile, dans les hôpitaux. Ceci est extraordinaire. On y retrouve maintenant des équipes dédiées aux soins palliatifs. Parfois, je me questionne si les équipes sont toujours formées avec les valeurs et la philosophie des soins palliatifs.
Je crois que l’Association québécoise de soins palliatifs a un rôle à jouer pour sensibiliser les différents milieux de soins aux valeurs des soins palliatifs. Ce fut un des premiers objectifs de l’association dès sa création.
Un enjeu actuel concerne l’aide médical à mourir, ou il y a un travail d’éducation à faire auprès de la population qui ne semble pas toujours comprendre la différence entre l’aide médicale à mourir, les soins palliatifs, la cessation de traitements, la sédation en fin de vie, etc. Il est important de bien expliquer aux personnes concernées ces différents types de soins afin que les personnes malades et leurs proches puissent faire des choix éclairés en fin de vie. L’accès aux soins palliatifs demeure toujours un défi dans les différentes régions.
Nous devons aussi continuer à explorer la dimension de l’accompagnement de la personne et de ses proches pour mieux comprendre et saisir leur souffrance afin d’en arriver à un meilleur soulagement global. La souffrance reconnue contribue à briser l’isolement que la personne malade et ses proches connaissent parfois.