Entretien avec Line St Amour, Psychologue « C’est important d’introduire de l’humanité dans une fin de vie. »

Dre Line St Amour, psychologue

Dre Line St Amour est psychologue en oncologie et en soins palliatifs au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), elle a également rédigé deux contes : « Luron apprivoise les forces de l’espoir : Démarche curative » et « L’amour pour toujours : Démarche palliative » pour permettre aux enfants et aux parents de communiquer à propos de la fin de vie. Elle est aussi engagée bénévolement au sein du comité congrès de l’AQSP.

Quel a été votre parcours? Depuis combien de temps travaillez-vous avec des personnes en fin de vie et/ou leurs proches? Pourquoi ce domaine vous a-t-il particulièrement interpellé?

C’est un domaine qui m’a interpellé depuis l’enfance. J’ai vécu dans cette réalité très tôt auprès de membres de ma famille qui étaient très malades, notamment mes grands-parents, un oncle et une tante handicapés qui vivaient tous avec nous. Lorsque j’ai fait mon doctorat en psychologie, je me suis ainsi concentrée sur un sujet en lien avec mon vécu, le deuil. J’ai donc fait du bénévolat à l’unité de soins palliatifs de l’hôpital Royal Victoria et y ai joint mon projet de recherche doctorale. Depuis un très jeune âge, je me pose des questions au sujet de la fin de vie. Je cherche à comprendre le processus d’attachement et de séparation. Je tente de saisir l’indicible. Au terme de mes études, j’ai enseigné à l’Université de Montréal et à l’Université du Québec en Outaouais en géronto-thanatologie. Par la suite, j’ai travaillé 10 ans en CLSC dans une équipe de psycho-gériatrie et me voilà maintenant au CHUM depuis 17 ans à titre de psychologue clinicienne en oncologie et soins palliatifs.

 Selon vous, quelle est la contribution des psychologues en fin de vie?

La psychologie apporte une approche et une vision différentes de la maladie, de la mort et de la vie. C’est une discipline qui prend en compte le lien d’attachement, le détachement, les caractéristiques propres à la personne, sa personnalité, et tout ce qui est d’ordre psychique comme les rêves et les fantasmes. La contribution du psychologue c’est de pouvoir ouvrir un espace pour que les patients puissent parler de ce qui ne se dit pas socialement. C’est aussi permettre au patient de comprendre le rapport à son corps, l’importance des liens affectifs, les images qui l’habitent. Dans le contexte particulier des soins palliatifs, il s’agit de soutenir les personnes malades face à leurs souffrances, leurs peurs et de les accompagner jusqu’au bout de leur vie.

Les psychologues peuvent intervenir à différents moments du parcours. Par exemple, nous sommes souvent appelés à aider les patients à surmonter l’arrêt des traitements et faire la transition vers des soins palliatifs. Nous travaillons également avec les patients à favoriser l’intégration de cette expérience à leur histoire de vie,  à donner sens à cette expérience et à ouvrir une voie au processus du deuil de soi et de sa propre vie.

Est-ce que tous les patients en soins palliatifs et leurs proches ont besoin d’accompagnement psychologique en fin de vie?

 La proportion de patients qui reçoivent ces services est très minime. Tous les patients en fin de vie ont besoin d’un accompagnement psychosocial ou humain, mais pas forcément par un professionnel de la santé. Un membre de la communauté ou un bénévole peut jouer un rôle important. Je suis formatrice au CHUM dans un programme spécialisé en soins palliatifs, et je forme notamment des bénévoles auxquels je signifie souvent que leur rôle auprès des patients est avant tout d’être des représentants de l’humanité. C’est important d’introduire de l’humanité dans une fin de vie. En revanche, des professionnels sont nécessaires dans des situations plus complexes.

 Pensez-vous que l’accès à des soins palliatifs qui prennent en compte la dimension psychologique est suffisant actuellement au Québec, ou y a-t-il des lacunes?

 L’accès aux soins palliatifs est déjà limité pour les patients, et dans le peu de ressources qui existent, il y a peu de services psychologiques. Je pense que c’est insuffisant, et même inquiétant. Avec l’avènement de la loi 2 sur les soins palliatifs et les soins de fin de vie, il est important qu’on remédie à cette situation.

 Vous avez mis en place un projet* pour aider les parents avec un diagnostic de cancer et leurs enfants à communiquer, pouvez-vous nous en parler?

C’est un projet que j’ai amorcé vers 2010. Dans mon expérience clinique, j’ai vécu des situations difficiles avec des familles et je souhaitais mieux les outiller et offrir un accompagnement aux parents atteints de cancer. Cela a commencé avec la publication de 2 contes et un guide en 2013. Je travaille actuellement en collaboration avec l’UQAM (Dre Mélanie Vachon) et l’Université de Sherbrooke (Dre Déborah Hummel) sur un projet de recherche concernant cette thématique. Parallèlement à ça, notre équipe de psychologues travaille à développer un site WEB pour rejoindre le plus grand nombre de familles. Deux fondations nous aident dans ce projet, notamment celle du CHUM et la Fondation Virage. Nous souhaitons poursuivre avec le développement d’une bande dessinée pour les adolescents. De nos jours, les livres ne sont plus suffisants. Il faut se tourner vers d’autres médias pour rejoindre les familles plus éloignées vivant en région.

Il y a maintenant une journée nationale du deuil au Canada, pensez-vous que le deuil est bien pris en charge pour les familles où il y a eu un décès?

Actuellement le deuil n’est pas bien pris en charge à cause du manque de ressources. Autrefois, le CHUM offrait un tel service, ce n’est plus le cas. Les organismes communautaires font un excellent travail mais ne suffisent pas à la tâche. Par ailleurs, certains organismes ont dû fermer leurs portes faute de fonds ( ex. : la Maison Monbourquette et Parents-Étoiles). On gagnerait à ce qu’il y ait d’avantages de services, car un deuil peut être très éprouvant tant au niveau affectif que psychologique. Les proches doivent parfois interrompre leur vie active de façon prolongée. À l’aide de services adéquats cela pourrait être évité. En tant que société, nous serions en mesure de mieux soulager ces personnes.

 Avez-vous eu une expérience qui vous a particulièrement marqué avec des patients en soins palliatifs au cours de votre carrière ?

 Je me souviens particulièrement d’une jeune patiente de 27 ans qui avait un cancer du cerveau. Elle avait un imaginaire débordant et était une grande altruiste. Elle a perdu l’usage de ses jambes, puis de la parole. Elle a fait preuve de résilience et est toujours restée bien connectée à la vie. Cette patiente a été un professeur pour moi. J’ai beaucoup de gratitude envers elle. Il y a des gens qui ont une richesse intérieure immense pour faire face à leur réalité. Mais il y a aussi des situations qui demeurent conflictuelles. Une femme en soins palliatifs qui avait la quarantaine était en rupture avec sa famille et avait une relation difficile avec sa mère. Il n’y a pas eu de réconciliation possible. Elle avait même interdit à sa mère de se présenter à ses funérailles. Un jour, après le décès, sa mère m’a contactée et j’ai alors été témoin d’une grande détresse, c’était extrêmement triste. Nous n’arrivons pas toujours à dénouer toutes les impasses.

Avec les patients en soins palliatifs, chaque rencontre est unique. On est témoin de moments marquants que ce soit des fous rires ou des moments de tristesse et d’impuissance. Le grand défi pour les psychologues est d’être en mesure de tolérer le mal-être qu’on peut parfois éprouver face à de grandes souffrances et de l’intégrer rapidement afin de pouvoir se rendre disponible au patient suivant. C’est important d’être capable de reprendre rapidement son équilibre pour accueillir les patients qui succéderont, dont la réalité est tout aussi importante que le patient précédent.

*Plus d’information sur le projet « Luron, mon compagnon » ici : http://viragecancer.org/luron-mon-compagnon/