Entretien avec Marcel Pennors — Bénévole à l’unité de soins palliatifs de l’hôpital Notre-Dame de Montréal

Marcel Pennors — Bénévole à l’unité de soins palliatifs de l’hôpital Notre-Dame de Montréal « Les bénévoles participent à améliorer la condition de vie des patients en travaillant dans une ambiance où la relation humaine est chaleureuse. »

Depuis combien de temps faites-vous du bénévolat en soins palliatifs ? où faites-vous du bénévolat ? Quel est votre rôle en tant que bénévole ?

Je suis bénévole à l’unité de soins palliatifs de l’hôpital Notre-Dame depuis une trentaine d’années.

À l’arrivée d’un patient, mon rôle consiste, quand c’est possible, à lui faire visiter l’unité. Ce premier contact, ce passage des soins curatifs aux soins palliatifs représente un choc, un moment difficile.

Un bénévole en soins palliatifs est essentiellement un confident du quotidien. Je débute généralement mon service vers 7 heures. Je suis disponible pour les patients qui le souhaitent. Je leur demande comment s’est passée la nuit, comment ils prévoient le déroulement de leur journée. À la demande des infirmières, j’aide des patients à prendre leur petit déjeuner. Après une visite du médecin, surtout si les nouvelles ne sont pas bonnes, les patients ont parfois besoin de partager leur souffrance avec une personne moins émotivement impliquée que leurs proches.

Il arrive que des patients se confient sur des événements significatifs de leur vie.. Certaines questions importantes émergent au fil des conversations. Comment aimeriez-vous qu’on se rappelle de vous ? Y a-t-il des choses importantes que vous n’avez pas dites et que vous aimeriez dire à vos proches, avant de partir ? Qu’est-ce que vous trouvez plus difficile à vivre, aujourd’hui ?

Alors que la mort est imminente, accompagner celui qui part en lui tenant la main relève de mon devoir moral quand la personne vit seule ce passage. Une forme de solidarité !

En passant d’une chambre à une autre ou en marchant dans le couloir, je suis une oreille attentive à la famille et aux amis du malade. Ceux-ci peuvent avoir besoin de dire leurs souffrances, leurs inquiétudes. Ils posent des questions pour essayer de saisir le sens de ce qui se passe. Parfois, je peux y répondre ; sinon, je leur suggère de s’adresser à telle personne plus compétente en ce domaine. Selon mon expérience, la fin de vie peut-être un moment privilégié pour résoudre des relations brisées.

Que ce soit lors de la visite initiale ou à un autre moment du séjour, j’informe le patient et la famille des soins de confort que la fondation Palli Ami met à leur disposition : buanderie, télévision, iPad, lampes Berger déodorantes, brunchs organisés pour souligner des anniversaires, des fêtes importantes … La fondation offre des services de musicothérapie, massothérapie, art thérapie, coiffure. Un salon est mis à leur disposition pour tenir une réunion spéciale, un conseil de famille sans être dérangés.

Les bénévoles participent à améliorer la condition de vie des malades en travaillant dans une ambiance où la relation humaine est chaleureuse.

Pourquoi avoir choisi de faire du bénévolat en soins palliatifs, qu’est-ce qui vous y a amené ?

Deux événements de ma vie ont servi de déclencheurs.

À sa mort, il y a près de 50 ans, mon père était entouré de tous les siens, chez lui ; il recevait du médecin et du prêtre les soins requis. C’était des soins palliatifs avant que ces services existent de façon formelle.

Lors d’une hospitalisation de mon fils, j’ai été témoin, dans un hôpital pour enfants, de la détresse des parents d’enfants malades.

Faire du bénévolat était en continuité avec mes valeurs humanistes, que ce soit dans le domaine du sport, de la jeunesse, de la santé, de l’éducation. Pour moi le bénévolat, c’est la richesse d’une société, nous avons besoin les uns des autres, de solidarité. Pour décrire mon activité bénévole, je dis souvent que je fais ce qu’il y a à faire quand il n’y a plus rien à faire.

Aussi, quand j’ai entendu à une émission à la radio que l’hôpital Notre -Dame recrutait des bénévoles à son unité de soins palliatifs, je me suis présenté.

Qu’est-ce que vous appréciez dans le bénévolat en soins palliatifs, avez-vous une expérience qui vous a particulièrement marqué ?

L’accompagnement des patients est la raison de ma présence à l’unité. Le patient choisit de me voir ou non ; je marche à côté de lui. Cela nécessite de l’empathie, de l’intuition tout autant qu’un équilibre entre le don et la réserve. C’est beaucoup plus une question d’être que de faire. J’y gagne autant sinon plus que je donne. J’ai ainsi découvert des talents dont je ne me serais pas rendu compte autrement.

Deux expériences auprès des patients m’ont particulièrement marqué.

La première est l’histoire de Madame Jeanne (nom fictif). Elle avait environ 80 ans et était très croyante. Elle m’a confié qu’elle avait été « fille mère », que son petit garçon lui avait été enlevé dès la naissance et élevé par sa tante devenue officiellement sa mère. Par la suite, Madame Jeanne a eu une famille. En fin de vie, elle a eu envie de voir son fils et de lui dire la vérité. Elle a voulu que je l’aide à résoudre ce dilemme. Cette histoire m’a appris à faire la différence entre l’accompagnement et l’intervention. Il s’agissait d’accompagner la volonté de la patiente sans chercher à résoudre le problème à sa place.

L’autre histoire est celle de Monsieur Maurice (autre nom fictif), un homme dans la trentaine. Dès le premier contact, il m’a serré dans ses bras et m’a raconté sa vie, en présence de ses parents. Avant de quitter l’unité, je suis allé le voir; il allait bien. À ma permanence suivante soit huit jours plus tard, ses parents m’attendaient. « Maurice ne va pas bien. Il vous attend, et il veut que vous soyez présent au moment de l’administration du sacrement des malades. »

Le bénévolat est un enrichissement personnel à travers un cheminement. On apprend l’humilité. Le patient est la personne importante, le héros de son histoire. Je suis présent dans sa fin de vie, à sa façon ; il me guide ; il partage son silence tout autant que ses paroles.

J’ai appris à avoir de la gratitude à l’égard de la vie, à l’exprimer. J’ai pu constater que beaucoup de patients dégagent une force spéciale, une confiance qui leur permet de traverser cette période ardue.

Humilité, gratitude, confiance, solidarité, travail d’équipe, introspection sont des qualités que les patients m’ont patiemment enseigné au fil des ans. Un apprentissage à long terme!

Faire du bénévolat, c’est accepter d’être une goutte d’eau parmi un grand nombre d’autres bénévoles et de professionnels. Cela me donne l’impression de faire quelque chose de bien, quelque chose qui donne du sens dans ma vie.

Comment se passe le travail en équipe avec les professionnels ?

Lorsque j’entre dans une chambre, je connais rarement le patient. Je dois adapter mon accompagnement à la personne qui est devant moi. Pour cela, à mon arrivée, la prise de connaissance de certains renseignements est nécessaire ; elle l’est tout autant à mon départ pour ceux qui me succèdent ; elle me permet aussi de ventiler, de ne pas quitter l’hôpital avec un sentiment de lourdeur.

Le travail d’équipe tant avec les autres bénévoles qu’avec les professionnels est nécessaire. Il est fondé sur la communication et la confiance, sur le respect des territoires. Je ne suis ni un intervenant en soins spirituels ni un psychologue…. J’apprécie œuvrer aux côtés des infirmières autant qu’elles apprécient, je pense, ma présence. Les rôles sont différents, tout en étant complémentaires dans l’écoute et la réponse aux besoins des patients et de leurs proches.

En tant que bénévole, est-ce que vous vous sentez assez outillé et formé ? Comment la formation se passe-t-elle dans votre milieu de soins pour les bénévoles ?

J’ai reçu une solide formation de théorique base à mon arrivée à l’unité. Elle comprenait deux parties. La première concernait les principales règles de fonctionnement d’un hôpital : le langage (le vouvoiement), l’habillement, les différentes formes d’isolement, … La seconde, introspective, avait pour but de savoir si j’étais la bonne personne pour ce genre de bénévolat. Elle visait à bien identifier mes attentes et mes besoins, à titre de bénévole dans une telle unité. Elle se faisait sous forme de mises en situation et d’échanges suivis avec la formatrice, à partir de questions : suis-je prêt à être confronté à des valeurs différentes des miennes, à la souffrance, à de l’impuissance ? Suis-je prêt à travailler en équipe, à n’être ni trop proactif ni trop passif ?…

La formation continue est indispensable, quelle que soit sa forme. La fondation Palli Ami organise épisodiquement des séances fondées sur les besoins du moment. Le perfectionnement peut se faire dans d’autres forums, tels l’université, les ateliers lors des congrès de l’AQSP, … Cette année, à la demande du docteur Patrick Vinay, j’ai donné un témoignage de mon expérience de bénévole et de proche dans un atelier de l’AQSP portant sur la détresse existentielle. (Voir l’article p. 15 du bulletin d’octobre 2018 pour lire un résumé de cet atelier ici).

Par mon comportement et mon attitude, j’entre dans une dynamique collective qui vise l’amélioration de la condition de vie des malades en prenant soin de leur être dans sa globalité, en tentant de briser leur isolement. Être bénévole dans une telle unité est un privilège. Je remercie les patients, leurs familles et leurs amis de m’avoir accepté dans leur cercle, à leurs conditions, d’avoir partagé avec moi leurs joies et leurs peines, leurs coins d’ombre et de lumière.

Entretien avec Line St Amour, Psychologue « C’est important d’introduire de l’humanité dans une fin de vie. »

Dre Line St Amour, psychologue

Dre Line St Amour est psychologue en oncologie et en soins palliatifs au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), elle a également rédigé deux contes : « Luron apprivoise les forces de l’espoir : Démarche curative » et « L’amour pour toujours : Démarche palliative » pour permettre aux enfants et aux parents de communiquer à propos de la fin de vie. Elle est aussi engagée bénévolement au sein du comité congrès de l’AQSP.

Quel a été votre parcours? Depuis combien de temps travaillez-vous avec des personnes en fin de vie et/ou leurs proches? Pourquoi ce domaine vous a-t-il particulièrement interpellé?

C’est un domaine qui m’a interpellé depuis l’enfance. J’ai vécu dans cette réalité très tôt auprès de membres de ma famille qui étaient très malades, notamment mes grands-parents, un oncle et une tante handicapés qui vivaient tous avec nous. Lorsque j’ai fait mon doctorat en psychologie, je me suis ainsi concentrée sur un sujet en lien avec mon vécu, le deuil. J’ai donc fait du bénévolat à l’unité de soins palliatifs de l’hôpital Royal Victoria et y ai joint mon projet de recherche doctorale. Depuis un très jeune âge, je me pose des questions au sujet de la fin de vie. Je cherche à comprendre le processus d’attachement et de séparation. Je tente de saisir l’indicible. Au terme de mes études, j’ai enseigné à l’Université de Montréal et à l’Université du Québec en Outaouais en géronto-thanatologie. Par la suite, j’ai travaillé 10 ans en CLSC dans une équipe de psycho-gériatrie et me voilà maintenant au CHUM depuis 17 ans à titre de psychologue clinicienne en oncologie et soins palliatifs.

 Selon vous, quelle est la contribution des psychologues en fin de vie?

La psychologie apporte une approche et une vision différentes de la maladie, de la mort et de la vie. C’est une discipline qui prend en compte le lien d’attachement, le détachement, les caractéristiques propres à la personne, sa personnalité, et tout ce qui est d’ordre psychique comme les rêves et les fantasmes. La contribution du psychologue c’est de pouvoir ouvrir un espace pour que les patients puissent parler de ce qui ne se dit pas socialement. C’est aussi permettre au patient de comprendre le rapport à son corps, l’importance des liens affectifs, les images qui l’habitent. Dans le contexte particulier des soins palliatifs, il s’agit de soutenir les personnes malades face à leurs souffrances, leurs peurs et de les accompagner jusqu’au bout de leur vie.

Les psychologues peuvent intervenir à différents moments du parcours. Par exemple, nous sommes souvent appelés à aider les patients à surmonter l’arrêt des traitements et faire la transition vers des soins palliatifs. Nous travaillons également avec les patients à favoriser l’intégration de cette expérience à leur histoire de vie,  à donner sens à cette expérience et à ouvrir une voie au processus du deuil de soi et de sa propre vie.

Est-ce que tous les patients en soins palliatifs et leurs proches ont besoin d’accompagnement psychologique en fin de vie?

 La proportion de patients qui reçoivent ces services est très minime. Tous les patients en fin de vie ont besoin d’un accompagnement psychosocial ou humain, mais pas forcément par un professionnel de la santé. Un membre de la communauté ou un bénévole peut jouer un rôle important. Je suis formatrice au CHUM dans un programme spécialisé en soins palliatifs, et je forme notamment des bénévoles auxquels je signifie souvent que leur rôle auprès des patients est avant tout d’être des représentants de l’humanité. C’est important d’introduire de l’humanité dans une fin de vie. En revanche, des professionnels sont nécessaires dans des situations plus complexes.

 Pensez-vous que l’accès à des soins palliatifs qui prennent en compte la dimension psychologique est suffisant actuellement au Québec, ou y a-t-il des lacunes?

 L’accès aux soins palliatifs est déjà limité pour les patients, et dans le peu de ressources qui existent, il y a peu de services psychologiques. Je pense que c’est insuffisant, et même inquiétant. Avec l’avènement de la loi 2 sur les soins palliatifs et les soins de fin de vie, il est important qu’on remédie à cette situation.

 Vous avez mis en place un projet* pour aider les parents avec un diagnostic de cancer et leurs enfants à communiquer, pouvez-vous nous en parler?

C’est un projet que j’ai amorcé vers 2010. Dans mon expérience clinique, j’ai vécu des situations difficiles avec des familles et je souhaitais mieux les outiller et offrir un accompagnement aux parents atteints de cancer. Cela a commencé avec la publication de 2 contes et un guide en 2013. Je travaille actuellement en collaboration avec l’UQAM (Dre Mélanie Vachon) et l’Université de Sherbrooke (Dre Déborah Hummel) sur un projet de recherche concernant cette thématique. Parallèlement à ça, notre équipe de psychologues travaille à développer un site WEB pour rejoindre le plus grand nombre de familles. Deux fondations nous aident dans ce projet, notamment celle du CHUM et la Fondation Virage. Nous souhaitons poursuivre avec le développement d’une bande dessinée pour les adolescents. De nos jours, les livres ne sont plus suffisants. Il faut se tourner vers d’autres médias pour rejoindre les familles plus éloignées vivant en région.

Il y a maintenant une journée nationale du deuil au Canada, pensez-vous que le deuil est bien pris en charge pour les familles où il y a eu un décès?

Actuellement le deuil n’est pas bien pris en charge à cause du manque de ressources. Autrefois, le CHUM offrait un tel service, ce n’est plus le cas. Les organismes communautaires font un excellent travail mais ne suffisent pas à la tâche. Par ailleurs, certains organismes ont dû fermer leurs portes faute de fonds ( ex. : la Maison Monbourquette et Parents-Étoiles). On gagnerait à ce qu’il y ait d’avantages de services, car un deuil peut être très éprouvant tant au niveau affectif que psychologique. Les proches doivent parfois interrompre leur vie active de façon prolongée. À l’aide de services adéquats cela pourrait être évité. En tant que société, nous serions en mesure de mieux soulager ces personnes.

 Avez-vous eu une expérience qui vous a particulièrement marqué avec des patients en soins palliatifs au cours de votre carrière ?

 Je me souviens particulièrement d’une jeune patiente de 27 ans qui avait un cancer du cerveau. Elle avait un imaginaire débordant et était une grande altruiste. Elle a perdu l’usage de ses jambes, puis de la parole. Elle a fait preuve de résilience et est toujours restée bien connectée à la vie. Cette patiente a été un professeur pour moi. J’ai beaucoup de gratitude envers elle. Il y a des gens qui ont une richesse intérieure immense pour faire face à leur réalité. Mais il y a aussi des situations qui demeurent conflictuelles. Une femme en soins palliatifs qui avait la quarantaine était en rupture avec sa famille et avait une relation difficile avec sa mère. Il n’y a pas eu de réconciliation possible. Elle avait même interdit à sa mère de se présenter à ses funérailles. Un jour, après le décès, sa mère m’a contactée et j’ai alors été témoin d’une grande détresse, c’était extrêmement triste. Nous n’arrivons pas toujours à dénouer toutes les impasses.

Avec les patients en soins palliatifs, chaque rencontre est unique. On est témoin de moments marquants que ce soit des fous rires ou des moments de tristesse et d’impuissance. Le grand défi pour les psychologues est d’être en mesure de tolérer le mal-être qu’on peut parfois éprouver face à de grandes souffrances et de l’intégrer rapidement afin de pouvoir se rendre disponible au patient suivant. C’est important d’être capable de reprendre rapidement son équilibre pour accueillir les patients qui succéderont, dont la réalité est tout aussi importante que le patient précédent.

*Plus d’information sur le projet « Luron, mon compagnon » ici : http://viragecancer.org/luron-mon-compagnon/

 

Entretien avec Sylvie Lepage, massothérapeute « accompagner les personnes pour qu’elles se sentent plus confortables »

Sylvie Lepage, Massothérapeute

Sylvie Lepage est massothérapeute, elle pratique en clinique privée, dans des centres hospitaliers du Bas-St-Laurent en collaboration avec l’Association du Cancer de l’Est du Québec, pour Leucan dans le service de massothérapie à domicile et pour la fondation de la Fédération Québécoise des Massothérapeutes. Elle est également directrice et formatrice pour Arborescence qui forme les massothérapeutes qui souhaitent se spécialiser auprès de la clientèle atteinte de cancer ou en soins palliatifs. Dans cet entretien, elle explique la place de la massothérapie dans les soins palliatifs.

Quel a été votre parcours? Depuis combien de temps travaillez-vous avec des personnes ayant des maladies incurables ou en fin de vie? Pourquoi ce domaine (la fin de vie) vous a-t-il particulièrement interpellé?

Je suis massothérapeute depuis 1998. Auparavant, j’étais travailleuse sociale. C’est la maladie de mon conjoint en 1994 qui m’a fait découvrir la massothérapie et qui a été le point de départ. J’ai par la suite suivi une formation spécialisée avec Mme Lyse Lussier. Aujourd’hui, je travaille notamment avec Leucan pour masser des enfants atteints de cancer. Je pratique également dans des centres hospitaliers du Bas-St-Laurent, ou en clinique privée avec des personnes atteintes de cancer, qui ont des diagnostics de maladies incurables, métastatiques qui présentent des contre-indications et des précautions particulières dans l’adaptation du massage.

Selon vous, quels bénéfices la massothérapie apporte-t-elle aux patients en fin de vie ?

La massothérapie est reconnue avant tout pour son impact physiologique. Le but est de réduire les sensations d’inconfort et la douleur des personnes malades. Dans ma pratique, je vois aussi un impact global au niveau de la gestion de l’angoisse, cela apaise les personnes qui vivent un stress important, notamment les patients atteints de maladies incurables ou en fin de vie. Au congrès des soins palliatifs en 2015, avec ma collègue Julie Jobin, nous avons présenté l’idée que le toucher en fin de vie peut avoir un impact sur le cheminement des patients vers l’acceptation. C’est une observation que moi et mes collègues voyons dans notre pratique, il y a souvent un impact sur les gens que l’on peut observer après le massage, ils sont plus ouverts, plus calmes. La massothérapie peut également aider les proches aidants qui sont à risque d’épuisement, ça a été mon expérience personnelle lorsque j’étais proche aidante pour mon conjoint, les massages m’ont aidée à tenir le coup.

Pensez-vous que la massothérapie est suffisamment accessible pour les personnes en fin de vie au Québec ?

Bien qu’il y ait eu des améliorations depuis quelques années, il y a encore du chemin à parcourir. Je pense que désormais tout le monde est conscient que le massothérapeute fait partie de l’équipe multidisciplinaire en soins palliatifs, mais ce type de soins n’est pas assuré de façon constante partout. Au niveau des maisons de soins palliatifs, la massothérapie est parfois vue comme un acte bénévole, ce qui est nuisible pour la continuité de ce type de soins auprès des patients. Certaines régions et établissements investissent dans ce domaine, comme l’hôpital Marie-Clarac à Montréal, ou celui d’Alma au Lac St-Jean. Des fondations jouent un rôle important dans l’accès à la massothérapie, comme la Fondation Aube Lumière ou Palliaco dans les Laurentides. Les patients ou leurs familles peuvent également décider de faire appel à un massothérapeute de façon privée. Pour les soins palliatifs à domicile, dont sont responsables les CLSC, ce sont également les fondations qui jouent un rôle important dans l’accès à la massothérapie et qui accepte de payer les services pour quelques heures par semaine.

Est-ce qu’il y a des défis particuliers pour masser les patients en fin de vie ? Est-ce que cela demande une formation spéciale ?

Au Québec, c’est de plus en plus reconnu qu’une formation spéciale est nécessaire. Pour travailler avec des patients en fin de vie, il faut adapter le geste de massage à la capacité de recevoir de la personne. Cela fluctue à chaque séance et demande de s’adapter à la condition du patient, à chaque fois. Il faut avoir des connaissances de la maladie et des bouleversements qu’elle entraine au niveau physique et psychique. C’est à la fois un savoir être et un savoir-faire. Je dis souvent aux personnes que je forme que le massage dans ce contexte est un espace de mieux-être. Il ne s’agit pas de viser la guérison de la personne, mais de l’accompagner pour qu’elle se sente plus confortable.

Un des enjeux actuels, c’est que certains milieux ne sont pas conscients qu’il existe un tel niveau de formation spécialisées pour les massothérapeutes et que croyant que le geste de massage est sans danger, ils ne requerront pas ce niveau de compétence. Mais le profil de formation prépare les massothérapeutes à être prudents et à adapter le geste du toucher à la réalité de la personne et de son environnement

Avez-vous eu une expérience qui vous a particulièrement touchée avec des patients en soins palliatifs au cours de votre carrière ?

Une cliente en privée qui était dans la négation de son état incurable et le refus des services m’a particulièrement marquée. Après le troisième massage à domicile, elle m’a dit « si c’est ça mourir, ça va être correcte ».  Et la semaine suivante, elle avait pris contact avec son infirmière pivot « pour savoir… » a-t-elle dit. Quelques semaines plus tard elle est décédée à la Maison Marie Élisabeth.

Je me souviens également d’un couple ou le mari avait été diagnostiqué avec un cancer. Il aimait les massages, même avant son diagnostic. La dernière séance avant son transfert en maison de soins palliatifs, sa femme errait dans les corridors de l’hôpital, elle pleurait. Elle a accepté que je lui donne un massage de la tête après avoir massé son mari. Après le repos, pendant que je massais la petite-fille du couple j’ai été témoin qu’elle a donné à son conjoint la permission de partir, il n’y avait plus de panique, mais l’acceptation. Son mari m’a serré la main et remercié pour ce moment.

J’ai suivi certaines personnes pendant longtemps, à travers les différentes étapes, les traitements qui fonctionnent, et puis cessent de faire effet, puis l’acceptation. Dans notre profession on ne met pas de mots, mais les gens expriment plus de choses après le massage, c’est pourquoi l’écoute est une part importante de ma profession.

Entretien réalisé par Laurène Souchet, coordonnatrice de l’AQSP

L’Association québécoise de soins palliatifs publie sa réponse à la consultation publique de santé Canada sur les soins palliatifs.

Le 12 juillet dernier, l’AQSP a soumis sa contribution à la consultation sur les soins palliatifs de Santé Canada. Cette consultation visait à aider le le gouvernement à élaborer un cadre pour les soins palliatifs au Canada.

Dans sa réponse à la consultation, l’Association souligne notamment les inégalités en matière d’accès aux soins palliatifs en fonction des régions, des milieux, et de la condition médicale des patients. L’AQSP évoque également la pénurie de médecins en soins palliatifs qui touche actuellement le Québec et ses conséquences sur l’accès et la qualité des soins palliatifs. L’Association souligne également les défis que rencontrent les patients et leurs proches aidants, et recommande de leur apporter un meilleur soutien.

Dans ses recommandations, l’AQSP a mis l’accent sur la collecte des données concernant l’accès et la qualité des soins palliatifs au Canada, et l’investissement dans la recherche en soins palliatifs.

L’Association préconise également de mieux reconnaitre la spécialisation en soins palliatifs et d’offrir des formations de qualité aux professionnels concernés, mises en place en concertation avec les ordres professionnels, les fournisseurs et les milieux de soins.

Enfin l’AQSP souligne l’importance de bien informer le grand public sur les bénéfices de l’approche palliative, et d’offrir aux patients et aux proches aidants l’information et l’accompagnement de qualité dont ils ont besoin.

Pour en savoir plus, vous pouvez lire le document complet ICI

Les médias parlent des lacunes dans l’accès en soins palliatifs et de la pénurie de médecins en soins palliatifs dans les nouvelles au Québec ces jours-ci!

Ces dernières semaines, un dossier important sur les soins palliatifs, avec trois articles Les signes de fins de vie (disponible ici) Apprendre à mourir (ici) et D’excellents à rien (ici), est paru le 26 et 27 mai dans La Presse que nous vous invitons à découvrir. La Présidente de l’AQSP, Dre Louise La Fontaine, ainsi que plusieurs de nos membres font partis des médecins cités dans ce dossier.

Le 31 mai le Collège des médecins a fait part de ses inquiétudes concernant la pénurie de médecins en soins palliatifs dans un reportage de David Gentile pour Radio-Canada Choisir l’aide médicale à mourir faute de soins palliatifs appropriés?, que vous pouvez retrouver ici. Le Président du Collège des médecins le Dr Charles Bernard, a aussi donné une entrevue à Radio Canada que vous pouvez écouter ici. Il s’inquiète de la pénurie de médecins dans le domaine des soins palliatifs, et indique que, faute d’accès à des soins appropriés, des patients pourraient être amené à choisir l’aide médicale à mourir. Il rappelle que le projet de loi 2 avait le souci de favoriser les soins de fins de vie, mais indique que les avancées et les investissements sont insuffisants. De plus Il note que les investissements dans la recherche en soins palliatifs sont encore timides. Le Dre Martel c’est également exprimer sur la pénurie de médecins en soins palliatifs a Radio Canada ici. Un médecin en soins palliatifs, Lucie Morneau, s’exprime dans la Presse pour indiquer qu’elle laissera son équipe en CHSLD sans médecin après son départ à la retraite ici.

La même question est aussi abordée dans les nouvelles anglophones au niveau canadien, avec un article sur CBC disponible ici qui cite La Dre Elisa Pucella, administratrice à la SQMDSP.

Louise La Fontaine c’est également exprimé sur la radio 98.5 pour dénoncer l’accessibilité inégale aux soins palliatifs au québec, dans une entrevue avec Bernard Drainville que vous pouvez réécouter ici .

Louise La Fontaine, présidente de l’AQSP, note que l’action du Collège des médecins et un appui de taille pour enrayer la pénurie de médecin et promouvoir un accès équitable aux soins palliatifs partout au Québec.

« Cela fait 8 ans que je viens tous les vendredis, j’ai trouvé ma place », témoignage de Ginette Bolduc, bénévole en soins palliatifs à la Maison La Source Bleue

Maison la Source Bleue et Ginette Bolduc dans le médaillon

Du 15 au 21 avril, c’est la semaine de l’action bénévole. Pour cette occasion, Ginette Bolduc, bénévole à la Maison La Source Bleue à Boucherville, nous partage son regard sur les soins palliatifs et son bénévolat.

Question 1 : Pourquoi avez-vous choisi de faire du bénévolat en soins palliatifs ?

Lorsque ma mère a eu un cancer en 2001, j’avais fait la visite de la Maison Michel Sarrazin à Québec et j’avais été impressionnée par l’accueil et la sérénité de ce milieu. Par contre, comme sa maladie a évolué rapidement, elle n’a pu bénéficier de ce service. Quelques mois plus tard, on m’a parlé d’un projet de construction pour une maison de soins palliatifs à Boucherville; j’ai décidé de m’impliquer. J’ai participé à l’organisation d’évènements de financement jusqu’à l’ouverture  de la Maison Source Bleue en 2011.

J’avais développé un grand sentiment d’appartenance à cette mission, alors quand la responsable des bénévoles m’a proposé de faire du bénévolat aux soins, j’ai accepté de relever ce défi malgré mes appréhensions. J’ai été rassurée par le fait qu’il y avait une formation et du soutien de la part de l’équipe des soins. Cela fait maintenant 8 ans que je suis bénévole aux soins tous les vendredis.

Question 2 : À quoi ressemble votre expérience à la Maison de la Source Bleue ? En tant que bénévole aux soins, que faites-vous ?

Quand on fait partie d’une équipe de soins palliatifs, on ressent rapidement la coopération et l’entraide. C’est un milieu à dimension humaine ou chaque geste a de l’importance.

En tant que bénévole notre rôle est d’assurer une présence constante auprès des patients et des familles. Lorsqu’un patient actionne la cloche d’appel nous sommes les premiers répondants. Nous prenons connaissance des besoins ou des demandes que l’on fait ou que l’on fait suivre aux personnels infirmiers. On est aussi là pour seconder les préposés.

L’interaction avec la famille est une partie importante de notre rôle. Il est difficile de quitter une personne que l’on aime et le lien de confiance que l’on a établi est important. On est là pour les rassurer et leur permettre de vivre chaque moment avec leur proche.

Question 3 : Qu’est-ce qui vous plaît dans votre expérience de bénévolat ?

Pour moi, ce qui compte c’est le contact humain. C’est parfois des petites attentions qui font toute la différence, par exemple tenir la main, soutirer un sourire et même un rire, apporter de la chaleur humaine. On dit souvent des bénévoles qu’ils sont altruistes et dévoués mais je crois qu’on le fait aussi pour soi. Un patient qui te regarde dans les yeux et qui dit: Vous êtes mon ange, notre journée est faite.

Question 4 : Comment se passe la formation ? En tant que bénévole recevez-vous de la formation continue ?

Au début, j’ai reçu une formation de base en soins palliatifs qui comprenait un cours de PDSB (Principes pour le déplacement sécuritaire des bénéficiaires) des thèmes reliés à l’approche auprès des patients et des notions générales sur les soins palliatifs. Je vais également participer au prochain congrès de l’Association québécoise de soins palliatifs à Drummondville.

Quelle a été votre expérience la plus mémorable en tant que bénévole à la Source Bleue ?

Au fil de 7 dernières années, plusieurs patients m’ont laissé de précieux souvenirs. Par exemple, cette dame âgée très attachante qui aimait tricoter et qui lisait continuellement. Dans, ces derniers moments en attendant que sa famille arrive à son chevet, je me suis assise à ses côtés et je lui ai lu le dernier chapitre. Je ne sais pas si elle m’a entendue, mais « des fois que… »

Je me rappelle aussi, d’un patient qui avait fait un cauchemar qui l’avait terriblement bouleversé et il était agité. J’ai pris un moment avec lui pour le rassurer et quand l’infirmière est revenue avec son calmant il n’en avait plus besoin.

Être bénévole en soins palliatifs c’est simplement d’être présent à ce qui se présente à nous. Je crois que c’est tous les petits gestes que nous accomplissons qui font une différence

Entretien avec Réjean Carrier, travailleur social à la Maison Michel Sarrazin : « le travail social est une profession où les relations sont au cœur de l’intervention  »

À l’occasion de la semaine des travailleurs sociaux du 25 au 31 mars, l’AQSP vous présente un entretien réalisé avec Réjean Carrier de la Maison Michel Sarrazin à Québec. Il explique le rôle et les défis des travailleurs sociaux qui sont impliqués dans les soins palliatifs et de fin de vie.

Question 1 : Quel a été votre parcours ? Pourquoi avez-vous choisi de travailler dans une maison de soins palliatifs ?

Je suis travailleur social depuis plus de 40 ans, dont 33 ans en soins palliatifs. Ma pratique en soins palliatifs s’est partagée entre le Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ) et la Maison Michel Sarrazin. J’ai rejoint l’équipe de la Maison Michel Sarrazin deux ans avant son ouverture pour réfléchir à ce que pourrait être l’accompagnement psychosocial dans une maison de soins palliatifs. J’y ai œuvré pendant huit ans auprès des gens en fin de vie et de leurs proches pour travailler par la suite au CHUQ. Dans cet établissement, j’avais aussi un rôle d’accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs proches. De plus, un travail plus spécifique m’attendait, celui d’accompagner des personnes remettant en question leurs traitements soit en oncologie ou en hémodialyse. Comme à la Maison Michel-Sarrazin, en milieu hospitalier, j’ai côtoyé la souffrance globale vécue par les personnes malades et les proches. Après quinze ans d’engagement au CHUQ, j’ai choisi de revenir à la Maison Michel Sarrazin et à son centre de jour.

J’ai fait le choix de revenir travailler dans une maison de soins palliatifs, car c’est un lieu où, dès le départ, on reconnait la fin de vie. Nous travaillons tous avec le même objectif soit celui du confort global de la personne et de ses proches. À l’hôpital, il y a un travail de sensibilisation des équipes traitantes qui doit être constamment présent pour faire reconnaitre la souffrance du malade, l’importance de la relation de soutien auprès de lui et du rôle essentiel des proches. Dans la philosophie des soins palliatifs, les proches ont leur place ce qu’on oublie parfois.

Question 2 : Pourriez-vous décrire quel est le rôle et la mission d’un travailleur social en maison de soins palliatifs ?

Le rôle du travailleur social à la Maison Michel Sarrazin est de soutenir et accompagner les personnes et leurs proches pour les aider à vivre la dernière étape de vie le plus sereinement possible.

Au centre de jour je dirais que mon rôle est d’aider les personnes atteintes de la maladie et leurs proches à découvrir comment on vit quand on sait qu’on va mourir. Notons que je rencontre les personnes individuellement, en couple, en famille selon les besoins. J’anime également quotidiennement un groupe de soutien pour les personnes malades et leurs proches.

En premier lieu, on accompagne le patient en relation avec lui-même, pour l’aider à faire le point sur ce qu’il vit. La fin de vie est souvent un temps pour des bilans de vie, des réconciliations avec soi ou avec les autres, avec un objectif de retrouver une paix intérieure. Être en paix ne veut pas dire être sans peine. Par sa formation le travailleur social a un rôle de réassurer, d’aider la personne à cheminer et garder du pouvoir sur sa vie restante. Enfin, on est là pour aider la personne à demeurer vivante jusqu’u à la fin.

Le travailleur social a aussi un rôle de soutien auprès des proches pour les aider à accompagner leur malade, à ouvrir la communication avec ce dernier. Il aide également les proches à découvrir les besoins de la personne malade en fin de vie. Personnellement, je crois que le plus grand besoin de la personne en fin de vie est celui de la sécurité au plan physique par le biais des soins et au niveau affectif par la présence des personnes significatives. Les proches ont souvent besoin qu’on les aide à prendre conscience de ce rôle important.

Il va s’en dire que tout ce travail auprès des malades et des proches qu’il soit au centre de jour ou à la Maison ne peut se faire qu’en équipe.

Question 3 : D’après vos expériences les travailleurs sociaux sont-ils confrontés à des enjeux particuliers lorsqu’ils accompagnent des patients en soins palliatifs et leurs familles ? Sont-ils suffisamment outillés pour faire face aux problématiques de la fin de vie ?

Dans les universités, les étudiants sont de plus en plus sensibilisés aux soins palliatifs et à l’accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs proches. En complément aux formations professionnelles, je suis co-responsable pour la région de Québec, et ce depuis 15 ans, d’un groupe de développement professionnel pour les psychologues et travailleurs sociaux en oncologie et soins palliatifs. Ce groupe réunit principalement des professionnels des milieux hospitaliers et du maintien à domicile. Dans les milieux de soins, il semble qu’on ait peu l’occasion de partager sa pratique professionnelle entre intervenants. Cela permet de réfléchir à la philosophie des soins palliatifs, aux valeurs qui nous guident dans l’intervention et à l’intervention comme telle. Le principe premier de ces rencontres est d’apprendre les uns des autres. Les participants sont très fidèles à cette activité et expriment en tirer de grands bénéfices pour leur pratique.

Une difficulté rencontrée dans nos milieux présentement est celle d’avoir des équipes permanentes et stables. Dans notre système de santé, les professionnels passent souvent d’un contrat à l’autre ce qui fait qu’on peut se retrouver en soins palliatifs sans en avoir fait le choix. On est ainsi confronté à la fin de la vie sans y être préparé. Le danger serait ici d’aborder la fin de vie de façon technique en termes de résolution de problèmes plutôt que dans une philosophie d’accompagnement. La mort n’est pas un problème, mais un processus de vie naturel. La notion d’accompagnement de la personne m’apparait un message à porter dans tous les milieux de soins.

Question 4 : Selon vous quels sont les grands enjeux en soins palliatifs au Québec actuellement ? Quels changements souhaiteriez-vous voir ?

Il y a eu beaucoup d’évolution concernant la reconnaissance des soins palliatifs depuis 30 ans au Québec que ce soit dans les services à domicile, dans les hôpitaux. Ceci est extraordinaire. On y retrouve maintenant des équipes dédiées aux soins palliatifs. Parfois, je me questionne si les équipes sont toujours formées avec les valeurs et la philosophie des soins palliatifs.

Je crois que l’Association québécoise de soins palliatifs a un rôle à jouer pour sensibiliser les différents milieux de soins aux valeurs des soins palliatifs. Ce fut un des premiers objectifs de l’association dès sa création.

Un enjeu actuel concerne l’aide médical à mourir, ou il y a un travail d’éducation à faire auprès de la population qui ne semble pas toujours comprendre la différence entre l’aide médicale à mourir, les soins palliatifs, la cessation de traitements, la sédation en fin de vie, etc. Il est important de bien expliquer aux personnes concernées ces différents types de soins afin que les personnes malades et leurs proches puissent faire des choix éclairés en fin de vie. L’accès aux soins palliatifs demeure toujours un défi dans les différentes régions.

Nous devons aussi continuer à explorer la dimension de l’accompagnement de la personne et de ses proches pour mieux comprendre et saisir leur souffrance afin d’en arriver à un meilleur soulagement global. La souffrance reconnue contribue à briser l’isolement que la personne malade et ses proches connaissent parfois.

«Il faut conserver et reconnaitre l’expertise en soins palliatifs » – Dre Pucella, médecin à la Maison de soins palliatifs de Laval

Elisa Pucella nous parle de son expérience en tant que médecin à la Maison des Soins Palliatifs de Laval et décrit la réalité des soins palliatifs, qui diffère beaucoup de l’image que le grand public en a. Elle parle de l’importance de l’équipe en soins palliatifs, de l’atmosphère unique des maisons en soins palliatifs, et des défis actuels en soins palliatifs au Québec.

Question : Quel a été votre parcours? Pourquoi avez-vous choisi de faire des soins palliatifs?

J’ai commencé ma pratique de façon très variée en 2001 en CLSC et en tant qu’omnipraticienne à l’hospitalisation. J’ai été exposé à des situations difficiles parfois positives, parfois négatives, qui m’ont touchée. Par exemple en accompagnant des familles de patients avec une atteinte sévère de la maladie d’Alzheimer, j’ai appris à les amener vers des soins qui apportent plus de confort aux patients, et évitent des souffrances. J’ai appris l’importance de prendre le temps d’accompagner les familles pour créer un lien de confiance. L’autre expérience qui a été déterminante, ce sont les conversations charnières qu’on peut avoir avec les personnes en fin de vie pour les accompagner et les aider à profiter du temps qui leur reste avec leur famille.

Le temps est un élément clé dans les soins palliatifs, mais par la suite l’hôpital où je travaillais a été confronté à un grave manque d’effectif, à tel point qu’il n’était plus possible pour moi de faire un travail de qualité comme je le souhaitais par manque de temps. Une collègue, Dre Marie-Françoise Mégie, m’a parlé du projet maison de soins palliatifs à Laval dans lequel elle était impliquée, et j’ai indiqué mon intérêt à y participer. J’ai fait partie de la première équipe à l’ouverture de la maison.

Question : Pourriez-vous nous décrire votre expérience en maison de soins palliatifs, en quoi ça diffère des autres milieux ou vous avez travaillé ?

Travailler à la Maison de Soins Palliatifs de Laval a été pour moi un apprentissage et m’a permis d’améliorer la qualité des soins que je prodigue. J’y ai rencontré des mentors, des médecins avec une expertise en soins palliatifs. J’y ai appris que je pouvais faire mieux, me questionner constamment pour améliorer ma pratique. Le premier patient que l’on a accueilli à la Maison a été pour moi une expérience très forte. Je me demandais comment cette personne allait vivre d’arriver dans une maison de soins palliatifs, si les patients et leurs familles comprendraient, comment j’allais réagir face à leurs émotions. La sœur du patient m’a questionné d’emblée pour savoir si l’on avait prodigué à son frère tous les soins possibles, si une chimiothérapie de plus n’aiderait pas. J’ai d’abord été prise au dépourvu par cette question. Puis j’ai décidé de lui refléter l’importance du rôle qu’elle a eu auprès de son frère en veillant sur lui tout au long de sa maladie, et cela a désamorcé la tension. Elle a alors mentionné les médecins précédents qui lui avaient déjà dit que son frère était déjà allé au-delà des prédictions, et qu’a ce stade la chimiothérapie n’apporterait plus de qualité de vie. Ils se sont pris dans les bras l’un de l’autre, c’était un moment émouvant. C’est alors que j’ai su que j’étais à ma place.

Les soins palliatifs, c’est une extraordinaire opportunité de créativité dans les relations humaines. C’est cela qui me fascine et c’est pourquoi j’aime travailler à la Maison des Soins Palliatifs de Laval. Un patient a une fois bien résumé cette expérience : lorsqu’il est arrivé, il a dit «je suis content d’arriver ici», paradoxalement, alors que c’est un lieu où il allait mourir. Mais pour lui, dans sa situation à ce moment-là, la Maison était une bouée de sauvetage car son épouse qui avait pris soin de lui était épuisée. En tant que soignante, je vis la même chose, car c’est un milieu où l’on peut apporter du réconfort aux patients et à leurs proches.

En maison de soins palliatifs, tout est fait pour accompagner la personne et sa famille. On prend en compte l’écosystème du patient. On suit ainsi la philosophie de Cicely Saunders (pionnière en soins palliatifs, qui a préconisé une approche différente de la fin de vie). Nous avons une intervenante sociale qui rencontre les proches individuellement. On se rend compte qu’assurer le bien-être de la famille est important pour le bien-être du patient, et inversement. Nous accompagnons aussi le deuil des proches, nous prenons soin de ceux qui vont rester.

Question : Pour les gens qui n’y ont jamais été, pourriez-vous décrire l’atmosphère d’une maison de soins palliatifs, comment ça se passe pour le patient?

L’atmosphère est détendue et le lieu physique est particulier, propice à la contemplation de la nature. Ce côté esthétique est important pour la dignité des patients. Cet environnement est un appel à se centrer sur le présent. Cela incite les patients à profiter au jour le jour du temps qui leur reste avec leurs proches. À la Maison, il y a une chambre que les proches peuvent réserver, des divans dans les chambres ou les proches peuvent également rester, et il n’y a pas d’heures de visites formelles, les proches peuvent venir quand ils le souhaitent. Tout est fait pour favoriser le rapprochement, ce qui inclue le stationnement gratuit.

Dans l’organisation des soins, un indicateur important, c’est la rapidité de répondre à la cloche d’appel des patients. Cela se fait en moins de 1 minute. Dans un premier temps, c’est les bénévoles qui répondent, car il s’agit souvent d’aider le patient à se déplacer ou à prendre un article. Mais si le patient a un inconfort physique, le bénévole va chercher l’infirmière. Pour moi, les bénévoles sont une caractéristique essentielle dans les maisons de soins palliatifs. Ce sont des gens de leur communauté qui viennent aider, et ce geste amène souvent du bien-être pour le patient qui ressent de la gratitude. Du point de vue de l’organisation des soins, les infirmières ont des ratios de patient qui leur permettent de passer le temps qu’il faut à leur chevet pour donner des soins de qualité. L’importance des ratios pour les infirmières est un enjeu bien documenté dans les médias.

Les infirmières ont justement un rôle fondamental, car elles connaissent bien le patient. En maison de soins palliatifs nous avons la chance en tant que médecins d’avoir, pour nous épauler, des infirmières spécialisées en soins palliatifs qui évaluent les patients avec acuité et peuvent leur expliquer le plan thérapeutique.

Souvent, les gens n’ont pas peur de la mort en tant que telle, mais de ce qui vient avant, et savoir qu’il y a une présence, une équipe compétente qui est là quoiqu’il arrive, c’est rassurant pour eux.

Question : Le 4 février, c’était la journée mondiale du cancer – à cette occasion, nous aimerions parler de l’accès aux soins palliatifs pour les patients atteints de cancer. Selon votre expérience, est-ce que les soins palliatifs sont bien intégrés pendant le traitement du cancer? Les patients reçoivent-ils ces soins assez tôt dans leurs parcours de soins?

On parle de l’approche intégrée des soins palliatifs et de ses bénéfices depuis les années 2000. Les soins palliatifs seraient mieux acceptés si l’on évitait de basculer d’un traitement curatif à un traitement palliatif de façon abrupte, ce qui est perçu par le patient comme un abandon. Cela nécessite des changements dans l’organisation des soins, et de la formation.

Les soins palliatifs peuvent être de qualité inégale, mais on pourrait apprendre, par exemple, de ce qui fonctionne en maison de soins palliatifs pour d’autres milieux. Dans certains milieux, le soutien psychosocial et spirituel est par exemple un aspect qui peut être escamoté, mais c’est pourtant essentiel. Certains questionnements peuvent être une véritable souffrance pour le patient, et ils doivent être adressés.

Question: Les patients ont-ils des préjugés sur les soins palliatifs? Est-ce que ça change par la suite après leur arrivée en maison de soins palliatifs?

Les mythes qui entourent les soins palliatifs c’est un grand enjeu, non seulement dans la population, mais aussi parmi les professionnels de santé. Les patients pensent que recevoir des soins palliatifs c’est être abandonné, qu’ils vont mourir plus vite. C’est un obstacle sur lequel il faut travailler.

Les patients arrivent souvent avec des préjugés à la maison de soins palliatifs, mais ça change dès la première journée avec l’accueil chaleureux qui leur est fait. Souvent, les patients me confient leur surprise, car ils pensent vraiment que les maisons sont des lieux austères et tristes alors que c’est tout le contraire. Ce sont des maisons pleines de vie.

Un document que j’utilise souvent pour combattre ces préjugés est une infographie sur les 10 mythes qui entourent les soins palliatifs, disponible ici.

Question: Pour vous, quels sont les grands défis en soins palliatifs au Québec?

Tout d’abord, il y a un problème avec la disponibilité des soins palliatifs. De plus, aujourd’hui il y a un grand bassin de population, les personnes avec des maladies chroniques, qui pourraient bénéficier d’une approche palliative. Mais fournir ces services à tous ceux qui pourraient en bénéficier est un défi sur le plan organisationnel, et cela demande de faire de l’éducation dans la population et du personnel soignant.

D’autre part, les soins palliatifs nécessitent une expertise sur le plan médical, mais le rôle des omnipraticiens a changé abruptement ces 4 dernières années au Québec ce qui a entraîné des pertes d’expertise. Il y a besoin d’un noyau de médecins qui pratiquent exclusivement en soins palliatifs et qui peuvent être une troisième ligne pour les cas complexes, et il faut également pouvoir assurer la relève dans ce domaine.

Ce n’est pas une pratique qui peut s’apprendre seulement dans les livres, on apprend beaucoup par mentorat, en côtoyant des médecins qui ont une pratique exclusive en soins palliatifs. C’est facile de penser qu’on fait bien les choses, quand on ne sait pas qu’on peut faire mieux. Or, dans la situation actuelle, c’est comme si le toit de la maison coulait, mais qu’on décidait de refaire le rez-de-chaussée sans réparer le toit. Il faut conserver et reconnaitre l’expertise en soins palliatifs.

Entretien par Laurène Souchet, coordonnatrice de l’AQSP