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Nos aînés veulent occuper leurs propres lits plutôt que ceux des hôpitaux

Chez nos voisins du sud, on voit régulièrement des circonscriptions électorales être remaniées dans des buts partisans. J’ai d’ailleurs récemment appris le mot étrange qui désigne ce remodelage arbitraire des frontières des circonscriptions : le gerrymandering.

Chez nous on ne manque pas non plus d’inventer des drôles de mots, comme les RI/RPA, SAD/SIAD, ou encore les CISSS et les CIUSSS. Ces fameux CIUSSS qui sont des territoires de soins, découpés arbitrairement aussi, définissent donc un bassin de population à soigner, qu’on appelle région sociosanitaire.

Alors que la deuxième vague de COVID nous frappe de plein fouet, je me rends compte que le découpage des CIUSSS ne tient pas compte du tout du nombre d’aînés demeurant en RI/RPA. Je réalise que cette donnée extrêmement pertinente, le nombre de « portes » représentant des personnes âgées vivant dans des milieux collectifs, est grandement variable d’un CIUSSS à l’autre.

En ce 17 février 2021, rien ne va plus dans les hôpitaux montréalais. Les lits sont pleins à 150 % un peu partout et on s’en va tout droit vers le point de rupture. Une grosse partie de ces lits sont occupés par des personnes âgées, souvent des patients qui, de surcroît, ne requièrent pas du tout le plateau technique de l’hôpital. Tous les jours, les ambulances transportent sans arrêt des Jeannine et des Lucille, qui atterrissent alors, toutes désorientées, dans le chaos de l’urgence. « Qu’est-ce qui vous amène à l’hôpital ? » leur demande-t-on. Souvent, elles ne savent pas, elles ne comprennent pas. Non pas en raison de troubles cognitifs, mais plutôt parce qu’on ne leur a pas vraiment demandé leur opinion, et parce qu’aucun médecin n’a pris le temps d’évaluer les alternatives possibles. Alors voilà, nos hôpitaux sont remplis de vieux, si on peut dire ça comme ça. Mais est-ce leur faute ? Doit-on blâmer cette génération d’hommes et de femmes qui ont travaillé si dur et qui ont tant sacrifié pour leur famille ? Ces aînés qui maintenant se retrouvent au crépuscule de leur vie, en perte d’autonomie, et qui ont choisi de se « placer » dans une résidence avec des services, était-ce leur souhait que d’être envoyés à l’urgence par le personnel de la résidence, à la moindre inquiétude ?

Les résidences privées pour aînés représentent une concentration très élevée de gens malades et de consommateurs de soins. Le Québec est le champion au Canada de ces ghettos de vieux. On pourrait s’imaginer que chaque résidence a un médecin attitré, qui passe toutes les semaines, et qui assure avec ses collègues une garde 24/7 à l’année, pour ainsi répondre aux nombreux besoins de cette population vulnérable. Mais non, ce n’est malheureusement pas le cas. Pendant que les omnipraticiens, forcés par le gouvernement, faisaient leur effort de guerre pour « offrir à chaque Québécois un médecin de famille » en augmentant la cadence au bureau pour vider les listes, la couverture médicale pour les résidences pour aînés, pour les ressources intermédiaires, elle, n’a jamais été à l’agenda. Bien avant l’arrivée de ce fichu virus dans nos vies, nous étions déjà en pandémie : la pandémie du vieillissement accéléré de la population. La problématique des aînés malades provenant de résidences, sans accès à une garde médicale communautaire, qui consultent à répétition à l’hôpital pour des problèmes qui auraient pu se régler à domicile, est une réalité bien connue des urgentologues. Disons que ça allait déjà très mal à ce chapitre.

Il ne faut pas les blâmer, puisqu’elles sont surchargées et fatiguées, mais les infirmières des résidences privées ont le réflexe de faire le 9-1-1 pour tous leurs clients malades, même si ces derniers souhaitent des soins davantage axés sur le confort que sur le prolongement de la vie. Puisqu’elles ne veulent pas « prendre de chance », et surtout parce qu’elles n’ont habituellement aucun médecin à qui se référer, elles vont s’en remettre au système hospitalier pour prendre en charge le grand-papa sourd et dément qui inquiète de par son incontinence urinaire nouvelle par exemple.

C’est quand même fou de constater à quel point la première ligne est décousue, et qu’à certains endroits à Montréal, on se retrouve dans des déserts médicaux, sans aucune présence médicale à domicile pour les patients instables et vulnérables. Des déserts où pullulent néanmoins des dizaines et des dizaines de tours de résidences privées pour aînés… Le désastre engendré par cette mauvaise couverture médicale, découlant d’un découpage de régions sociosanitaires qui ne tient pas compte du nombre d’aînés en RPA, est la trame de fond de cette pandémie.

Négligence systémique des aînés est l’expression qui me vient en tête lorsque je pense à notre système de santé. Pendant que le gouvernement perdait son temps à pondre des statistiques sur les taux d’assiduité des patients envers leur médecin de famille en cabinet, aucune énergie n’a été déployée pour monter et soutenir des équipes médicales intensives à domicile, ressources pourtant peu coûteuses et d’une efficacité redoutable lorsqu’il s’agit d’éviter les hospitalisations inutiles.

Ceux qui sont allés prêter main-forte dans les résidences privées aux prises avec des éclosions majeures l’ont sans doute constaté : la COVID est loin d’être le seul problème qui afflige ces personnes âgées. Troubles cognitifs avec problèmes de comportement, insuffisance cardiaque terminale, polypharmacie et grande fragilité sont autant de diagnostics que le clinicien retient lors de sa « tournée COVID ». Mettre les pieds dans une résidence privée pour aînés c’est comme ouvrir une boîte de Pandore. Les problèmes sont criants, et les opportunités d’initier des soins palliatifs en contexte de maladie chronique sévère sont multiples. Or, dans notre système de santé hospitalo-centriste, les patients vieillissants qui souffrent de plusieurs comorbidités sont habituellement pris dans un système de portes tournantes, où d’une hospitalisation à une autre, le déclin s’installant de plus en plus, le patient n’a jamais l’occasion d’opter pour des soins palliatifs à domicile. Il est tellement navrant de voir nos aînés passer les deux dernières années de leur vie dans les allers-retours incessants à l’hôpital pour ensuite mourir tristement sur une civière. Quelle fin insensée, me dis-je souvent. Mais surtout, ils méritent mille fois mieux.

Alors quelles sont les leçons que l’on peut tirer de la pandémie pour les soins palliatifs ? Que nous avons un énorme retard à rattraper en ce qui a trait aux soins à domicile. Plus précisément, il est urgent que chaque CISSS/CIUSSS ait ses équipes médicales sur le terrain à domicile, de garde 24/7 pour toute sa population gériatrique, en perte d’autonomie, et palliative.

Il apparaît également primordial que les médecins des équipes de soins à domicile soient non seulement à l’aise avec les soins de fin de vie, mais également avec les soins aigus. Le fardeau des insuffisants cardiaques et emphysémateux décompensés sur notre système hospitalier est énorme, et la gestion de ces épisodes de défaillance peut parfois se faire à domicile. Il faut développer une aisance à établir les niveaux de soins, à analyser rapidement les profils pharmacologiques et à prendre en charge les patients complexes atteints de multiples pathologies. Les cliniciens qui ont cette expertise et cette facilité en soins gériatriques et palliatifs peuvent ainsi voir un grand nombre de patients, et c’est un aspect qui me semble important à souligner. En effet, la très grande concentration de personnes âgées en perte d’autonomie dans les milieux urbains densément peuplés oblige à un certain débit. Sans ignorer la qualité des soins et l’humanisme, il nous faut passer à la seconde vitesse si on veut pouvoir donner accès aux soins au plus grand nombre. Durant une éclosion majeure de COVID, il faut se dépêcher de voir le plus de patients possible, établir leur niveau de soins, faire la liste des problèmes, détailler un plan de match et ensuite parler aux familles et au pharmacien. Cette vitesse de croisière devrait aussi être celle adoptée pour tout soin à domicile en général, puisque la crise sanitaire due au vieillissement de la population ne fait que commencer.

Article rédigé par Dre Eveline Gaillardetz, médecin au CLSC de Verdun.

 

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