Entretien avec Marcel Pennors — Bénévole à l’unité de soins palliatifs de l’hôpital Notre-Dame de Montréal
Marcel Pennors — Bénévole à l’unité de soins palliatifs de l’hôpital Notre-Dame de Montréal « Les bénévoles participent à améliorer la condition de vie des patients en travaillant dans une ambiance où la relation humaine est chaleureuse. »
Depuis combien de temps faites-vous du bénévolat en soins palliatifs ? où faites-vous du bénévolat ? Quel est votre rôle en tant que bénévole ?
Je suis bénévole à l’unité de soins palliatifs de l’hôpital Notre-Dame depuis une trentaine d’années.
À l’arrivée d’un patient, mon rôle consiste, quand c’est possible, à lui faire visiter l’unité. Ce premier contact, ce passage des soins curatifs aux soins palliatifs représente un choc, un moment difficile.
Un bénévole en soins palliatifs est essentiellement un confident du quotidien. Je débute généralement mon service vers 7 heures. Je suis disponible pour les patients qui le souhaitent. Je leur demande comment s’est passée la nuit, comment ils prévoient le déroulement de leur journée. À la demande des infirmières, j’aide des patients à prendre leur petit déjeuner. Après une visite du médecin, surtout si les nouvelles ne sont pas bonnes, les patients ont parfois besoin de partager leur souffrance avec une personne moins émotivement impliquée que leurs proches.
Il arrive que des patients se confient sur des événements significatifs de leur vie.. Certaines questions importantes émergent au fil des conversations. Comment aimeriez-vous qu’on se rappelle de vous ? Y a-t-il des choses importantes que vous n’avez pas dites et que vous aimeriez dire à vos proches, avant de partir ? Qu’est-ce que vous trouvez plus difficile à vivre, aujourd’hui ?
Alors que la mort est imminente, accompagner celui qui part en lui tenant la main relève de mon devoir moral quand la personne vit seule ce passage. Une forme de solidarité !
En passant d’une chambre à une autre ou en marchant dans le couloir, je suis une oreille attentive à la famille et aux amis du malade. Ceux-ci peuvent avoir besoin de dire leurs souffrances, leurs inquiétudes. Ils posent des questions pour essayer de saisir le sens de ce qui se passe. Parfois, je peux y répondre ; sinon, je leur suggère de s’adresser à telle personne plus compétente en ce domaine. Selon mon expérience, la fin de vie peut-être un moment privilégié pour résoudre des relations brisées.
Que ce soit lors de la visite initiale ou à un autre moment du séjour, j’informe le patient et la famille des soins de confort que la fondation Palli Ami met à leur disposition : buanderie, télévision, iPad, lampes Berger déodorantes, brunchs organisés pour souligner des anniversaires, des fêtes importantes … La fondation offre des services de musicothérapie, massothérapie, art thérapie, coiffure. Un salon est mis à leur disposition pour tenir une réunion spéciale, un conseil de famille sans être dérangés.
Les bénévoles participent à améliorer la condition de vie des malades en travaillant dans une ambiance où la relation humaine est chaleureuse.
Pourquoi avoir choisi de faire du bénévolat en soins palliatifs, qu’est-ce qui vous y a amené ?
Deux événements de ma vie ont servi de déclencheurs.
À sa mort, il y a près de 50 ans, mon père était entouré de tous les siens, chez lui ; il recevait du médecin et du prêtre les soins requis. C’était des soins palliatifs avant que ces services existent de façon formelle.
Lors d’une hospitalisation de mon fils, j’ai été témoin, dans un hôpital pour enfants, de la détresse des parents d’enfants malades.
Faire du bénévolat était en continuité avec mes valeurs humanistes, que ce soit dans le domaine du sport, de la jeunesse, de la santé, de l’éducation. Pour moi le bénévolat, c’est la richesse d’une société, nous avons besoin les uns des autres, de solidarité. Pour décrire mon activité bénévole, je dis souvent que je fais ce qu’il y a à faire quand il n’y a plus rien à faire.
Aussi, quand j’ai entendu à une émission à la radio que l’hôpital Notre -Dame recrutait des bénévoles à son unité de soins palliatifs, je me suis présenté.
Qu’est-ce que vous appréciez dans le bénévolat en soins palliatifs, avez-vous une expérience qui vous a particulièrement marqué ?
L’accompagnement des patients est la raison de ma présence à l’unité. Le patient choisit de me voir ou non ; je marche à côté de lui. Cela nécessite de l’empathie, de l’intuition tout autant qu’un équilibre entre le don et la réserve. C’est beaucoup plus une question d’être que de faire. J’y gagne autant sinon plus que je donne. J’ai ainsi découvert des talents dont je ne me serais pas rendu compte autrement.
Deux expériences auprès des patients m’ont particulièrement marqué.
La première est l’histoire de Madame Jeanne (nom fictif). Elle avait environ 80 ans et était très croyante. Elle m’a confié qu’elle avait été « fille mère », que son petit garçon lui avait été enlevé dès la naissance et élevé par sa tante devenue officiellement sa mère. Par la suite, Madame Jeanne a eu une famille. En fin de vie, elle a eu envie de voir son fils et de lui dire la vérité. Elle a voulu que je l’aide à résoudre ce dilemme. Cette histoire m’a appris à faire la différence entre l’accompagnement et l’intervention. Il s’agissait d’accompagner la volonté de la patiente sans chercher à résoudre le problème à sa place.
L’autre histoire est celle de Monsieur Maurice (autre nom fictif), un homme dans la trentaine. Dès le premier contact, il m’a serré dans ses bras et m’a raconté sa vie, en présence de ses parents. Avant de quitter l’unité, je suis allé le voir; il allait bien. À ma permanence suivante soit huit jours plus tard, ses parents m’attendaient. « Maurice ne va pas bien. Il vous attend, et il veut que vous soyez présent au moment de l’administration du sacrement des malades. »
Le bénévolat est un enrichissement personnel à travers un cheminement. On apprend l’humilité. Le patient est la personne importante, le héros de son histoire. Je suis présent dans sa fin de vie, à sa façon ; il me guide ; il partage son silence tout autant que ses paroles.
J’ai appris à avoir de la gratitude à l’égard de la vie, à l’exprimer. J’ai pu constater que beaucoup de patients dégagent une force spéciale, une confiance qui leur permet de traverser cette période ardue.
Humilité, gratitude, confiance, solidarité, travail d’équipe, introspection sont des qualités que les patients m’ont patiemment enseigné au fil des ans. Un apprentissage à long terme!
Faire du bénévolat, c’est accepter d’être une goutte d’eau parmi un grand nombre d’autres bénévoles et de professionnels. Cela me donne l’impression de faire quelque chose de bien, quelque chose qui donne du sens dans ma vie.
Comment se passe le travail en équipe avec les professionnels ?
Lorsque j’entre dans une chambre, je connais rarement le patient. Je dois adapter mon accompagnement à la personne qui est devant moi. Pour cela, à mon arrivée, la prise de connaissance de certains renseignements est nécessaire ; elle l’est tout autant à mon départ pour ceux qui me succèdent ; elle me permet aussi de ventiler, de ne pas quitter l’hôpital avec un sentiment de lourdeur.
Le travail d’équipe tant avec les autres bénévoles qu’avec les professionnels est nécessaire. Il est fondé sur la communication et la confiance, sur le respect des territoires. Je ne suis ni un intervenant en soins spirituels ni un psychologue…. J’apprécie œuvrer aux côtés des infirmières autant qu’elles apprécient, je pense, ma présence. Les rôles sont différents, tout en étant complémentaires dans l’écoute et la réponse aux besoins des patients et de leurs proches.
En tant que bénévole, est-ce que vous vous sentez assez outillé et formé ? Comment la formation se passe-t-elle dans votre milieu de soins pour les bénévoles ?
J’ai reçu une solide formation de théorique base à mon arrivée à l’unité. Elle comprenait deux parties. La première concernait les principales règles de fonctionnement d’un hôpital : le langage (le vouvoiement), l’habillement, les différentes formes d’isolement, … La seconde, introspective, avait pour but de savoir si j’étais la bonne personne pour ce genre de bénévolat. Elle visait à bien identifier mes attentes et mes besoins, à titre de bénévole dans une telle unité. Elle se faisait sous forme de mises en situation et d’échanges suivis avec la formatrice, à partir de questions : suis-je prêt à être confronté à des valeurs différentes des miennes, à la souffrance, à de l’impuissance ? Suis-je prêt à travailler en équipe, à n’être ni trop proactif ni trop passif ?…
La formation continue est indispensable, quelle que soit sa forme. La fondation Palli Ami organise épisodiquement des séances fondées sur les besoins du moment. Le perfectionnement peut se faire dans d’autres forums, tels l’université, les ateliers lors des congrès de l’AQSP, … Cette année, à la demande du docteur Patrick Vinay, j’ai donné un témoignage de mon expérience de bénévole et de proche dans un atelier de l’AQSP portant sur la détresse existentielle. (Voir l’article p. 15 du bulletin d’octobre 2018 pour lire un résumé de cet atelier ici).
Par mon comportement et mon attitude, j’entre dans une dynamique collective qui vise l’amélioration de la condition de vie des malades en prenant soin de leur être dans sa globalité, en tentant de briser leur isolement. Être bénévole dans une telle unité est un privilège. Je remercie les patients, leurs familles et leurs amis de m’avoir accepté dans leur cercle, à leurs conditions, d’avoir partagé avec moi leurs joies et leurs peines, leurs coins d’ombre et de lumière.