«Il faut conserver et reconnaitre l’expertise en soins palliatifs » – Dre Pucella, médecin à la Maison de soins palliatifs de Laval

Elisa Pucella nous parle de son expérience en tant que médecin à la Maison des Soins Palliatifs de Laval et décrit la réalité des soins palliatifs, qui diffère beaucoup de l’image que le grand public en a. Elle parle de l’importance de l’équipe en soins palliatifs, de l’atmosphère unique des maisons en soins palliatifs, et des défis actuels en soins palliatifs au Québec.

Question : Quel a été votre parcours? Pourquoi avez-vous choisi de faire des soins palliatifs?

J’ai commencé ma pratique de façon très variée en 2001 en CLSC et en tant qu’omnipraticienne à l’hospitalisation. J’ai été exposé à des situations difficiles parfois positives, parfois négatives, qui m’ont touchée. Par exemple en accompagnant des familles de patients avec une atteinte sévère de la maladie d’Alzheimer, j’ai appris à les amener vers des soins qui apportent plus de confort aux patients, et évitent des souffrances. J’ai appris l’importance de prendre le temps d’accompagner les familles pour créer un lien de confiance. L’autre expérience qui a été déterminante, ce sont les conversations charnières qu’on peut avoir avec les personnes en fin de vie pour les accompagner et les aider à profiter du temps qui leur reste avec leur famille.

Le temps est un élément clé dans les soins palliatifs, mais par la suite l’hôpital où je travaillais a été confronté à un grave manque d’effectif, à tel point qu’il n’était plus possible pour moi de faire un travail de qualité comme je le souhaitais par manque de temps. Une collègue, Dre Marie-Françoise Mégie, m’a parlé du projet maison de soins palliatifs à Laval dans lequel elle était impliquée, et j’ai indiqué mon intérêt à y participer. J’ai fait partie de la première équipe à l’ouverture de la maison.

Question : Pourriez-vous nous décrire votre expérience en maison de soins palliatifs, en quoi ça diffère des autres milieux ou vous avez travaillé ?

Travailler à la Maison de Soins Palliatifs de Laval a été pour moi un apprentissage et m’a permis d’améliorer la qualité des soins que je prodigue. J’y ai rencontré des mentors, des médecins avec une expertise en soins palliatifs. J’y ai appris que je pouvais faire mieux, me questionner constamment pour améliorer ma pratique. Le premier patient que l’on a accueilli à la Maison a été pour moi une expérience très forte. Je me demandais comment cette personne allait vivre d’arriver dans une maison de soins palliatifs, si les patients et leurs familles comprendraient, comment j’allais réagir face à leurs émotions. La sœur du patient m’a questionné d’emblée pour savoir si l’on avait prodigué à son frère tous les soins possibles, si une chimiothérapie de plus n’aiderait pas. J’ai d’abord été prise au dépourvu par cette question. Puis j’ai décidé de lui refléter l’importance du rôle qu’elle a eu auprès de son frère en veillant sur lui tout au long de sa maladie, et cela a désamorcé la tension. Elle a alors mentionné les médecins précédents qui lui avaient déjà dit que son frère était déjà allé au-delà des prédictions, et qu’a ce stade la chimiothérapie n’apporterait plus de qualité de vie. Ils se sont pris dans les bras l’un de l’autre, c’était un moment émouvant. C’est alors que j’ai su que j’étais à ma place.

Les soins palliatifs, c’est une extraordinaire opportunité de créativité dans les relations humaines. C’est cela qui me fascine et c’est pourquoi j’aime travailler à la Maison des Soins Palliatifs de Laval. Un patient a une fois bien résumé cette expérience : lorsqu’il est arrivé, il a dit «je suis content d’arriver ici», paradoxalement, alors que c’est un lieu où il allait mourir. Mais pour lui, dans sa situation à ce moment-là, la Maison était une bouée de sauvetage car son épouse qui avait pris soin de lui était épuisée. En tant que soignante, je vis la même chose, car c’est un milieu où l’on peut apporter du réconfort aux patients et à leurs proches.

En maison de soins palliatifs, tout est fait pour accompagner la personne et sa famille. On prend en compte l’écosystème du patient. On suit ainsi la philosophie de Cicely Saunders (pionnière en soins palliatifs, qui a préconisé une approche différente de la fin de vie). Nous avons une intervenante sociale qui rencontre les proches individuellement. On se rend compte qu’assurer le bien-être de la famille est important pour le bien-être du patient, et inversement. Nous accompagnons aussi le deuil des proches, nous prenons soin de ceux qui vont rester.

Question : Pour les gens qui n’y ont jamais été, pourriez-vous décrire l’atmosphère d’une maison de soins palliatifs, comment ça se passe pour le patient?

L’atmosphère est détendue et le lieu physique est particulier, propice à la contemplation de la nature. Ce côté esthétique est important pour la dignité des patients. Cet environnement est un appel à se centrer sur le présent. Cela incite les patients à profiter au jour le jour du temps qui leur reste avec leurs proches. À la Maison, il y a une chambre que les proches peuvent réserver, des divans dans les chambres ou les proches peuvent également rester, et il n’y a pas d’heures de visites formelles, les proches peuvent venir quand ils le souhaitent. Tout est fait pour favoriser le rapprochement, ce qui inclue le stationnement gratuit.

Dans l’organisation des soins, un indicateur important, c’est la rapidité de répondre à la cloche d’appel des patients. Cela se fait en moins de 1 minute. Dans un premier temps, c’est les bénévoles qui répondent, car il s’agit souvent d’aider le patient à se déplacer ou à prendre un article. Mais si le patient a un inconfort physique, le bénévole va chercher l’infirmière. Pour moi, les bénévoles sont une caractéristique essentielle dans les maisons de soins palliatifs. Ce sont des gens de leur communauté qui viennent aider, et ce geste amène souvent du bien-être pour le patient qui ressent de la gratitude. Du point de vue de l’organisation des soins, les infirmières ont des ratios de patient qui leur permettent de passer le temps qu’il faut à leur chevet pour donner des soins de qualité. L’importance des ratios pour les infirmières est un enjeu bien documenté dans les médias.

Les infirmières ont justement un rôle fondamental, car elles connaissent bien le patient. En maison de soins palliatifs nous avons la chance en tant que médecins d’avoir, pour nous épauler, des infirmières spécialisées en soins palliatifs qui évaluent les patients avec acuité et peuvent leur expliquer le plan thérapeutique.

Souvent, les gens n’ont pas peur de la mort en tant que telle, mais de ce qui vient avant, et savoir qu’il y a une présence, une équipe compétente qui est là quoiqu’il arrive, c’est rassurant pour eux.

Question : Le 4 février, c’était la journée mondiale du cancer – à cette occasion, nous aimerions parler de l’accès aux soins palliatifs pour les patients atteints de cancer. Selon votre expérience, est-ce que les soins palliatifs sont bien intégrés pendant le traitement du cancer? Les patients reçoivent-ils ces soins assez tôt dans leurs parcours de soins?

On parle de l’approche intégrée des soins palliatifs et de ses bénéfices depuis les années 2000. Les soins palliatifs seraient mieux acceptés si l’on évitait de basculer d’un traitement curatif à un traitement palliatif de façon abrupte, ce qui est perçu par le patient comme un abandon. Cela nécessite des changements dans l’organisation des soins, et de la formation.

Les soins palliatifs peuvent être de qualité inégale, mais on pourrait apprendre, par exemple, de ce qui fonctionne en maison de soins palliatifs pour d’autres milieux. Dans certains milieux, le soutien psychosocial et spirituel est par exemple un aspect qui peut être escamoté, mais c’est pourtant essentiel. Certains questionnements peuvent être une véritable souffrance pour le patient, et ils doivent être adressés.

Question: Les patients ont-ils des préjugés sur les soins palliatifs? Est-ce que ça change par la suite après leur arrivée en maison de soins palliatifs?

Les mythes qui entourent les soins palliatifs c’est un grand enjeu, non seulement dans la population, mais aussi parmi les professionnels de santé. Les patients pensent que recevoir des soins palliatifs c’est être abandonné, qu’ils vont mourir plus vite. C’est un obstacle sur lequel il faut travailler.

Les patients arrivent souvent avec des préjugés à la maison de soins palliatifs, mais ça change dès la première journée avec l’accueil chaleureux qui leur est fait. Souvent, les patients me confient leur surprise, car ils pensent vraiment que les maisons sont des lieux austères et tristes alors que c’est tout le contraire. Ce sont des maisons pleines de vie.

Un document que j’utilise souvent pour combattre ces préjugés est une infographie sur les 10 mythes qui entourent les soins palliatifs, disponible ici.

Question: Pour vous, quels sont les grands défis en soins palliatifs au Québec?

Tout d’abord, il y a un problème avec la disponibilité des soins palliatifs. De plus, aujourd’hui il y a un grand bassin de population, les personnes avec des maladies chroniques, qui pourraient bénéficier d’une approche palliative. Mais fournir ces services à tous ceux qui pourraient en bénéficier est un défi sur le plan organisationnel, et cela demande de faire de l’éducation dans la population et du personnel soignant.

D’autre part, les soins palliatifs nécessitent une expertise sur le plan médical, mais le rôle des omnipraticiens a changé abruptement ces 4 dernières années au Québec ce qui a entraîné des pertes d’expertise. Il y a besoin d’un noyau de médecins qui pratiquent exclusivement en soins palliatifs et qui peuvent être une troisième ligne pour les cas complexes, et il faut également pouvoir assurer la relève dans ce domaine.

Ce n’est pas une pratique qui peut s’apprendre seulement dans les livres, on apprend beaucoup par mentorat, en côtoyant des médecins qui ont une pratique exclusive en soins palliatifs. C’est facile de penser qu’on fait bien les choses, quand on ne sait pas qu’on peut faire mieux. Or, dans la situation actuelle, c’est comme si le toit de la maison coulait, mais qu’on décidait de refaire le rez-de-chaussée sans réparer le toit. Il faut conserver et reconnaitre l’expertise en soins palliatifs.

Entretien par Laurène Souchet, coordonnatrice de l’AQSP