Entretien avec Sylvie Lepage, massothérapeute « accompagner les personnes pour qu’elles se sentent plus confortables »

Sylvie Lepage, Massothérapeute

Sylvie Lepage est massothérapeute, elle pratique en clinique privée, dans des centres hospitaliers du Bas-St-Laurent en collaboration avec l’Association du Cancer de l’Est du Québec, pour Leucan dans le service de massothérapie à domicile et pour la fondation de la Fédération Québécoise des Massothérapeutes. Elle est également directrice et formatrice pour Arborescence qui forme les massothérapeutes qui souhaitent se spécialiser auprès de la clientèle atteinte de cancer ou en soins palliatifs. Dans cet entretien, elle explique la place de la massothérapie dans les soins palliatifs.

Quel a été votre parcours? Depuis combien de temps travaillez-vous avec des personnes ayant des maladies incurables ou en fin de vie? Pourquoi ce domaine (la fin de vie) vous a-t-il particulièrement interpellé?

Je suis massothérapeute depuis 1998. Auparavant, j’étais travailleuse sociale. C’est la maladie de mon conjoint en 1994 qui m’a fait découvrir la massothérapie et qui a été le point de départ. J’ai par la suite suivi une formation spécialisée avec Mme Lyse Lussier. Aujourd’hui, je travaille notamment avec Leucan pour masser des enfants atteints de cancer. Je pratique également dans des centres hospitaliers du Bas-St-Laurent, ou en clinique privée avec des personnes atteintes de cancer, qui ont des diagnostics de maladies incurables, métastatiques qui présentent des contre-indications et des précautions particulières dans l’adaptation du massage.

Selon vous, quels bénéfices la massothérapie apporte-t-elle aux patients en fin de vie ?

La massothérapie est reconnue avant tout pour son impact physiologique. Le but est de réduire les sensations d’inconfort et la douleur des personnes malades. Dans ma pratique, je vois aussi un impact global au niveau de la gestion de l’angoisse, cela apaise les personnes qui vivent un stress important, notamment les patients atteints de maladies incurables ou en fin de vie. Au congrès des soins palliatifs en 2015, avec ma collègue Julie Jobin, nous avons présenté l’idée que le toucher en fin de vie peut avoir un impact sur le cheminement des patients vers l’acceptation. C’est une observation que moi et mes collègues voyons dans notre pratique, il y a souvent un impact sur les gens que l’on peut observer après le massage, ils sont plus ouverts, plus calmes. La massothérapie peut également aider les proches aidants qui sont à risque d’épuisement, ça a été mon expérience personnelle lorsque j’étais proche aidante pour mon conjoint, les massages m’ont aidée à tenir le coup.

Pensez-vous que la massothérapie est suffisamment accessible pour les personnes en fin de vie au Québec ?

Bien qu’il y ait eu des améliorations depuis quelques années, il y a encore du chemin à parcourir. Je pense que désormais tout le monde est conscient que le massothérapeute fait partie de l’équipe multidisciplinaire en soins palliatifs, mais ce type de soins n’est pas assuré de façon constante partout. Au niveau des maisons de soins palliatifs, la massothérapie est parfois vue comme un acte bénévole, ce qui est nuisible pour la continuité de ce type de soins auprès des patients. Certaines régions et établissements investissent dans ce domaine, comme l’hôpital Marie-Clarac à Montréal, ou celui d’Alma au Lac St-Jean. Des fondations jouent un rôle important dans l’accès à la massothérapie, comme la Fondation Aube Lumière ou Palliaco dans les Laurentides. Les patients ou leurs familles peuvent également décider de faire appel à un massothérapeute de façon privée. Pour les soins palliatifs à domicile, dont sont responsables les CLSC, ce sont également les fondations qui jouent un rôle important dans l’accès à la massothérapie et qui accepte de payer les services pour quelques heures par semaine.

Est-ce qu’il y a des défis particuliers pour masser les patients en fin de vie ? Est-ce que cela demande une formation spéciale ?

Au Québec, c’est de plus en plus reconnu qu’une formation spéciale est nécessaire. Pour travailler avec des patients en fin de vie, il faut adapter le geste de massage à la capacité de recevoir de la personne. Cela fluctue à chaque séance et demande de s’adapter à la condition du patient, à chaque fois. Il faut avoir des connaissances de la maladie et des bouleversements qu’elle entraine au niveau physique et psychique. C’est à la fois un savoir être et un savoir-faire. Je dis souvent aux personnes que je forme que le massage dans ce contexte est un espace de mieux-être. Il ne s’agit pas de viser la guérison de la personne, mais de l’accompagner pour qu’elle se sente plus confortable.

Un des enjeux actuels, c’est que certains milieux ne sont pas conscients qu’il existe un tel niveau de formation spécialisées pour les massothérapeutes et que croyant que le geste de massage est sans danger, ils ne requerront pas ce niveau de compétence. Mais le profil de formation prépare les massothérapeutes à être prudents et à adapter le geste du toucher à la réalité de la personne et de son environnement

Avez-vous eu une expérience qui vous a particulièrement touchée avec des patients en soins palliatifs au cours de votre carrière ?

Une cliente en privée qui était dans la négation de son état incurable et le refus des services m’a particulièrement marquée. Après le troisième massage à domicile, elle m’a dit « si c’est ça mourir, ça va être correcte ».  Et la semaine suivante, elle avait pris contact avec son infirmière pivot « pour savoir… » a-t-elle dit. Quelques semaines plus tard elle est décédée à la Maison Marie Élisabeth.

Je me souviens également d’un couple ou le mari avait été diagnostiqué avec un cancer. Il aimait les massages, même avant son diagnostic. La dernière séance avant son transfert en maison de soins palliatifs, sa femme errait dans les corridors de l’hôpital, elle pleurait. Elle a accepté que je lui donne un massage de la tête après avoir massé son mari. Après le repos, pendant que je massais la petite-fille du couple j’ai été témoin qu’elle a donné à son conjoint la permission de partir, il n’y avait plus de panique, mais l’acceptation. Son mari m’a serré la main et remercié pour ce moment.

J’ai suivi certaines personnes pendant longtemps, à travers les différentes étapes, les traitements qui fonctionnent, et puis cessent de faire effet, puis l’acceptation. Dans notre profession on ne met pas de mots, mais les gens expriment plus de choses après le massage, c’est pourquoi l’écoute est une part importante de ma profession.

Entretien réalisé par Laurène Souchet, coordonnatrice de l’AQSP