Entretien avec Maryse Bouvette, infirmière conseillère en soins palliatifs : «soutenir les associations de soins palliatifs pour un pouvoir de changement»
Maryse Bouvette est infirmière conseillère en soins palliatifs depuis 25 ans. Administratrice à l’Association Québécoise des soins palliatifs depuis plus de dix ans, elle a récemment reçu le prix Balfour Mont de l’Association Canadienne des soins palliatifs pour son engagement et son leadership dans le domaine des soins palliatifs. Dans cet entretien, elle partage son parcours d’infirmière en soins palliatifs et explique son engagement associatif.
Question : quels motivations vous ont poussé à choisir les soins palliatifs?
Réponse: Ce sont d’abord mes expériences personnelles qui ont éveillé mon intérêt. C’est particulièrement la mort de mon père lorsque j’avais 25 ans qui m’a fait prendre conscience de l’importance de cette étape de la vie et du besoin de s’y arrêter. La mort avait un coté taboue, on n’en parlait pas. Suite à cette grande perte, j’ai décidé d’essayer de comprendre ce que je vivais. J’ai suivi des cours sur le deuil, la gérontologie, et j’ai complété un diplôme de 2ième cycle en géronto-thanatologie[1].
D’autres expériences personnelles ont suivi, j’ai notamment été proche aidante pour ma sœur, qui est décédée suite à un cancer. Ce fut un très grand privilège de faire partie du quotidien de ma sœur, à travers de cheminement jusqu’au bout de sa vie. Elle m’a aidée à voir la vie à travers ses lentilles, elle a été un professeur et mentor très important pendant mon parcours de vie personnelle et professionnel.
Avant d’être infirmière en soins palliatifs, j’étais infirmière clinicienne en soins intensifs. C’est un domaine où, nécessairement, on côtoie la mort, l’espoir et le désespoir, le deuil anticipée de la personne et de sa famille.
Question : Quel est le rôle d’une infirmière en soins palliatifs? Comment peut-on le devenir?
Réponse: Les infirmières ont un rôle pivot dans le contexte des soins de la personne, car nous sommes en interaction avec cette personne 24h par jour et 7 jours par semaine. Nous avons le privilège de la rencontrer dans sa globalité et lui prodiguer des soins holistiques.
Pour devenir infirmière en soins palliatifs, il faut avant tout démontrer un intérêt dans ce domaine et nourrir cet intérêt par la lecture, des cours ou programmes académiques. Je dois également vous partager que j’ai eu la piqure lors de ma formation universitaire initiale à l’université Laval ou j’ai pris un cours optionnel sur les soins palliatifs. C’est peut-être à partir de ce moment que la passion a pu germer tout au long de ma carrière.
Au Canada, il existe maintenant une certification nationale reconnue par l’Association des infirmières et infirmiers du Canada. De plus en plus de cours sont également disponibles dans les universités. Les programmes de sciences infirmières canadiennes visent à progressivement intégrer les compétences de bases en soins palliatifs dans leurs programmes.
Question : Les soins palliatifs, pourquoi c’est important pour notre société?
Réponse : La mort fait partie des réalités de la vie. Au fil des années, l’évolution de la science et de la médecine, la société s’est fait croire de pouvoir repousser la mort à tout prix et de la mettre au rancart. Je crois que c’est ce qui a fait de la mort un sujet si tabou. Tous les professionnels de santé, auront à un moment donné de leur carrière à offrir des soins à une personne qui souffre d’une maladie progressive et qui chemine vers la mort. De plus, puisque la population est vieillissante, les soins palliatifs et de fins de vie vont devenir d’autant plus importants.
Question Selon vous, quels sont les défis principaux qui se posent pour les soins palliatifs au Québec (et/ou au Canada)?
Réponse : Le défi actuel pour les soins palliatifs au Québec comme au Canada, c’est que nous vivons dans une société ou tout va très vite, les besoins augmentent, les équipes de soins travaillent avec des effectifs très limités donc avec une charge de travail importante. La formation continue et le mentorat deviennent très importants pour permettre aux professionnels de la santé de découvrir leur capacité à prodiguer des soins holistiques de qualités et d’ouvrir la porte à la communication sur les défis de la maladie, de la vie et de la mort.
Question– Qu’aimeriez-vous voir changer pour les patients en soins palliatifs? Pour les professionnels et les bénévoles œuvrant en soins palliatifs?
Réponse : J’aimerais que les toutes les personnes aient un accès équitable aux soins palliatifs, indépendamment d’où ils vivent. Pour cela, il faudrait que les soins palliatifs soient intégrés dans la médecine familiale. Le médecin de famille offre ses soins à la personne tout au long de la vie, souvent de la naissance et idéalement jusqu’à la mort.
Les compétences généralistes en soins palliatifs seraient nécessaires pour toutes les autres professions de la santé afin que tous soient mieux préparés à gérer les situations qui requièrent une approche palliative. En général, les professionnels de santé ne sont pas assez soutenus dans ce domaine au niveau de leur formations de base. Il y a un manque d’outils et de fonds pour la formation.
En ce qui concerne le bénévolat en soins palliatifs, il y a surtout besoin d’un éveil sociétal. On doit parfois se demander si les communautés existent encore. On doit nourrir l’idée de développer des communautés compatissantes, savoir se soucier de l’autre en tant qu’être humain. Les bénévoles qui œuvrent au sein des maisons de soins palliatifs reçoivent une bonne formation en soins palliatifs et sont habituellement bien encadrés. Il faut vraiment continuer à investir dans le bénévolat pour développer des communautés tissées d’humanité.
Question : Vous êtes administratrice à l’AQSP depuis plus de dix ans, et également très active au sein de l’ACSP – selon vous, pourquoi soutenir ces associations, en devenant membre et/ou en y investissant du temps?
Réponse : Je pense que faire partie d’un conseil d’administration d’une association en soins palliatifs, c’est être la voix d’un groupe de gens qu’elle représente. On y trouve également un sentiment d’appartenance, comme une famille qui veut répondre au besoin de ses membres. Les différents représentants ont souvent des bagages et des parcours différents, mais des intérêts communs permettant de partager leur expertise. [2]. Il est très important de soutenir ces associations, pour réunir nos voix afin de mieux faire connaître les soins palliatifs au sein de la société, de s’assurer de l’accès équitable des soins palliatifs. En unissant nos voix, on permet un pouvoir de changement.
[1] La thanatologie est l’étude des signes, des conditions, des causes et de la nature de la mort.
[2] Les membres de l’AQSP incluent tous les intervenants en soins palliatifs, notamment les professionnels de santé et les bénévoles.